Quebradas

Un album est disponible en cliquant sur le diaporama en bas de page. (Collection personnelle)


Le Nord Ouest de l'Argentine, loin de la mégalopole tentaculaire qu'est Buenos Aires, au pied des Andes, déroule de merveilleux paysages minéraux polychromes. Salta, ville poussée trop vite, n'a d'intérêt que son centre historique, noyé désormais dans l'extension de quartiers d'une grande banalité. L'ambiance change le soir venu, lorsque la musique prends possession de la ville qui n'est que le point de départ obligé vers la région qui l'entoure. Au sud, ce sont les vallées calchaquies, au nord, les quebradas des hauts plateaux surmontés des sommets glacés des Andes.
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Auditorium.
Vallées calchaquies.

Ces paysages ne sont sans doute pas uniques, chacun allant de sa comparaison avec le grand canyon du Colorado, les vallées de l'Atlas Marocain, les gorges de Petra…, mais ils sont suffisamment somptueux pour justifier leur classement comme Patrimoine de l'Humanité. L'ocre rouge des rochers se retrouve certes en maints endroits de la planète, mais peu de paysages sont aussi vastes, leurs couleurs aussi variées, leur diversité aussi grande. Près de Purmamarca, surplombant le village de Maimara, l'un de ces ensembles rocheux dénommé " la palette du peintre ", juxtapose de façon harmonieuse toute la gamme des ocres du rouge au jaune, des camaïeux de gris, tantôt bleutés, tantôt foncés, comme gris de Payne, des blancs écrus, et surtout des verts, caressés par le soleil comme arc en ciel ou aurores boréales. 

Arrivé tardivement à Purmamarca, j'effectuais au pas de charge une promenade, pompeusement baptisée " trek " par mon guide, dans le Cerro de las Sietes Colores, la colline aux sept couleurs autour de la petite ville, alors que le soleil commençait à disparaître derrière les crêtes. Parmi les vallons rocheux aux arêtes tranchantes, une fantasmagorie de couleurs jouait tantôt de tendres verts tilleul dans l'ombre naissante des fonds  de vallée, contrastant avec le rouge des crêtes encore éclairées par le soleil couchant. A chaque minute, à chaque pas, lumière et couleurs changeaient, pour finir par se fondre dans une ombre grise, prélude à la nuit.
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Cerro de las Sietes Colores.

Les formes n'avaient rien à envier aux couleurs. Les délires de l'érosion avaient façonné tantôt un fantastique auditorium, tantôt de gigantesques monuments, évoquant obélisques ou châteaux. Les Quebradas, que l'on pourrait traduire par brisures, fractures, déchirures, forment ces paysages accidentés, lunaires ou martiens, d'une autre planète. Leurs noms évoquent coquilles ou carapaces, dans la Quebrada de las Conchas, les flèches, toutes orientées dans le même sens, de la Quebrada de las Fechas. Dans ce désert minéral, sans eau, l'érosion est partout. Des pluies torrentielles ont creusé à flanc de montagne de profondes ravines. Le vent a sculpté les rochers comme autant de personnages fantasmagoriques.

Avec l'altitude, la route s'approche des sommets dont la blancheur se découpe sur un ciel d'un bleu limpide. Des cols à plus de quatre mille mètres, s'élevant au dessus des nuages, se signalent par une petite chapelle ou une simple croix. De là, d'impressionnantes routes en lacets serpentent jusqu'au fond des vallées. Malgré le vent et le froid, des enfants, au visage d'incas, proposent de petits objets d'artisanat, comme des fragments d'ardoise ou de granit, gravés de dessins emblématiques. Sur l'Alti Plano, de longues routes rectilignes s'allongent sur des dizaines de kilomètres entre d'immenses étendues désertiques où l'on croise des troupeaux d'ânes sauvages, des lamas et de gracieuses vigognes.
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Vigognes
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Salinas Grandes

Sur ces immenses étendues apparaît, barrant l'horizon, la ligne blanche scintillante des Salinas Grandes. A mesure que l'on approche, l'étendue d'une blancheur aveuglante s'agrandit à la taille d'un lac, puis d'une mer, d'où semblent émerger, comme des îles, les sommets andins, couronnés de blanc par le gel. Du bord, comme d'une plage, le sel dessine des vaguelettes. De grands rectangles creusés pour recueillir le sel  laissent apparaître une eau turquoise, rendue très pâle par les reflets du sel. A perte de vue, comme un champ de neige d'une totale platitude, la saline étend sa croûte salée sur laquelle on risque quelques pas précautionneux. Seuls les camions roulant sur la route transandine qui longe la saline rappellent que l'on est bien sur la terre et non sur une quelconque planète inconnue.

En redescendant vers la vallée, les étages de végétation nous indiquent mieux qu'un altimètre à quelle hauteur nous arrivons, des hauts plateaux arides de la puna, couverte de l'ichu, la graminée servant de nourriture aux camélidés de la cordillère, aux cactus candélabres géants indiquant le retour vers trois mille mètres. Leur densité signale également la présence d'un site archéologique, leur présence, générée par les excréments, témoignant de la présence humaine. Ces nombreux sites précolombiens, tels que ceux de la culture Omaguaca, se dressent sur des élévations rocheuses inexpugnables, dominant les rivières et leurs cultures sur berges, comme celui de la Pucara de Tilcara. Ces forteresses, évoquant Massada, qui résistèrent pendant de nombreuses années aux envahisseurs espagnols ne sont plus gardées désormais que par ces armées de cactus, ultimes vestiges de la présence humaine en ces lieux.

Les petits villages de la région témoignent encore du passé colonial par leur architecture, leurs églises, et à l'intérieur de celles-ci, par les statues aux chevelures faites de cheveux naturels qui leur confèrent l'humanité recherchée par les artistes qui les ont créées. A Molinos, l'église fait face à la maison du gouverneur à l'époque coloniale, havre de calme et de fraîcheur, à l'ombre du gigantesque poivrier qui couvre de sa ramure la totalité du patio. Les places de Purmamarca, d'Humahuaca, s'animent chaque jour de marchés où s'étalent les nombreux lainages bariolés de l'artisanat local, faits de laine de lama, beaucoup venant du Pérou voisin.

De cet univers minéral s'échappe comme une oasis la ville de Cafayate, entourée de ses vignes dont les vins sont une merveille : Torrontes rappelant certaines vendanges tardives d'Alsace, farandole de cépages rouges aux robes chatoyantes, aux bouquets fruités. Les vignes remontent jusqu'à mi pente dans cette vallée fertile, exposée à un soleil généreux quasi chaque jour de l'année. Miracles de l'eau, du soleil et du terroir, ces vins accompagnent empanadas, humitas et pantagruéliques quartiers de viande, si caractéristiques de la cuisine Argentine.

De l'extraordinaire diversité des paysages argentins, de la Terre de Feu aux régions tropicales, le Nord Ouest se distingue par sa rudesse minérale mais aussi par une surprenante beauté à l'approche des sommets andins. Villes et villages ont conservé le charme de l'époque coloniale, la musique et les traditions. Ils opposent la douceur et la chaleur de leur accueil, la blancheur de leurs églises et de leurs maisons à l'austère beauté des roches fracturées aux multiples couleurs des Quebradas. 

Voir l'album de Quebradas.
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