La représentation de l'Espace

Foetus
Les premiers contacts que l'être humain possède avec l'espace sont ceux d'un espace clos et liquidien dans le ventre de sa mère. Au cours de sa vie intra utérine, le fœtus a déjà la capacité de ressentir même si son système nerveux ne sera pas encore complètement mature à sa naissance. La capacité du fœtus à souffrir ne fait plus de doute. La naissance va constituer à la fois un traumatisme, caractérisé par la rupture avec la mère - la section du cordon ombilical - et la sortie de l'enveloppe protectrice, mais aussi les premiers contacts avec le monde extérieur : le froid, la lumière, le bruit… Dès ce moment, le nouveau-né va être confronté à la perception du monde qui l'entoure, d'abord réduit à son berceau et à sa chambre. Toute sa vie durant, il sera lié à ce monde qui l'entoure par les perceptions que lui procurent ses sens. L'analyse phénoménologique de l'espace qui nous entoure comporte une première étape indispensable qui est la perception et ce n'est que secondairement que ces perceptions se chargeront de significations, les sensations, qui conduiront par leur confrontation, leur imbrication à ce qu'Einstein appelle des " concepts primaires " qui sont " directement et intuitivement reliés à des complexes typiques d'expériences sensibles " " Nihil est in intellectu quod prius est in sensu ", ce qu'Einstein résume parfaitement : le concept de " monde extérieur réel " de la pensée de tous les jours repose exclusivement sur les impressions sensibles.
L'approche phénoménologique de l'espace, comme du temps, me paraît essentielle en tant que méthode d'analyse des phénomènes, de leur perception, à leur sensation et à leur compréhension. D'emblée, je me range dans la catégorie des hérétiques par rapport aux objectifs de Husserl et des développements de Merleau-Ponty visant à en faire une doctrine philosophique. De façon plus pragmatique, il faut en revenir aux fondements de la phénoménologie, en tant que " psychologie descriptive " dont l'objectif n'est pas d'expliquer ni d'analyser, mais de tenter une approche du réel. Contrairement à la conception de Husserl, cela ne suppose pas le désaveu de la science, qui est complémentaire et se situe dans un autre registre. Nous avons vu que l'avancement actuel des neurosciences permet d'expliciter le cheminement de la perception, à la sensation et à la conceptualisation, faisant intervenir au passage des mécanismes comme celui de la mémoire. Ceci n'empêche en rien le recours à la psychologie expérimentale pour expliciter le passage de la perception à la sensation. Les neurosciences fournissent le substratum organique, la psychologie expérimentale démontre les mécanismes qu'il sous-tend. Comment voit on un objet ? Prenons l'exemple d'un livre. L'œil perçoit un parallélépipède rectangle d'une certaine taille, d'une certaine couleur. Je peux m'en saisir, évaluer son poids, son contact au toucher. 
Mes sens, vision, toucher, me révèlent un objet présent. Mais d'emblée, je vais me dire c'est un livre, correspondant à l'image que j'en ai, correspondant à un objet remémoré. Si j'en connais le contenu, l'auteur, je peux conceptualiser non plus un objet ou une image mais l'idée que représente ce livre pour moi.  Dans la " phénoménologie de la perception ", Merleau-Ponty explicite la vision des couleurs mais  le déni opposé à la science le conduit à sauter quasiment l'étape de la perception pour se concentrer sur la sensation. Le passage de la perception  à la sensation charge celle-ci de signification qui peut d'ailleurs être erronée. La démonstration la plus simple est fournie par l'exemple classique des droites de Müller-Lyer. La droite qui se termine par deux angles tournés vers l'extérieur paraît plus longue que celle qui se termine par deux angles qui se terminent vers l'intérieur, alors que leur longueur est strictement identique. Ce ne sont probablement pas nos sens qui nous abusent mais la sensation issue d'une vision de deux droites d'égale longueur, modifiée dans sa perception par l'aspect sortant ou rentrant des extrémités.
Illusion de Müller-Lyer.
Triangle de Kanizsa.
Les exemples d'illusions visuelles abondent dans la description phénoménologique de passages aberrants de la perception à la sensation.

La structure de Kanizsa, qui fait apparaître une forme triangulaire, de plus grande luminosité apparente, sans aucune caractéristique de l'image physique, en est une excellente illustration.

Une autre image qui a marqué mon enfance me revient à l'esprit. Mené par mes parents chez le coiffeur, je considérais à chaque fois avec émerveillement la multiplication à l'infini de l'image du salon de coiffure que se reflétaient deux murs miroirs, situés en face l'un de l'autre. J'essayais de m'imaginer le nombre des images de plus en plus petites qu'ils se renvoyaient mutuellement, jusqu'à en déduire qu'il n'y avait aucune raison pour que cela s'arrête et que cela pourrait bien correspondre à un mécanisme sans fin (infini).
Faut-il en déduire pour autant que la vision du monde qui nous entoure, et partant de l'espace qui en constitue le cadre naturel, soit irréelle ? Certainement pas mais le passage de la perception, avec toutes les limites que l'on a précédemment soulignées, à la sensation constitue un passage d'une objectivité, à capacité limitée, à une subjectivité, sans frontière. Il est impossible, écrit Einstein, " de faire une distinction entre les impressions sensibles et les représentations ou du moins, il n'est pas possible de le faire avec une certitude absolue ". A un degré supplémentaire, le concept qui est une " notion arbitraire de notre esprit apparaît plus fort et plus inaltérable que l'expérience sensible individuelle " dont on ne peut " garantir tout à fait qu'elle soit le résultat d'une illusion ou d'une hallucination ". L'illusion est fréquente qu'elle soit spontanée, comme dans le cas des mirages, ou recherchée, comme le trompe-l'œil en peinture. Celui-ci n'a généralement pour objectif que de restituer le relief sur une surface plane, comme dans la peinture classique ou plus proche de nous, avec Vassarely dans la peinture moderne. Avec Dali et ses effets d'optique psychique, on va plus loin encore sans que l'on sache toujours la limite entre le canular du " Marché d'esclaves avec le buste invisible de Voltaire " ou la " Vierge de la Sixtine " apparaissant suivant la distance ou l'on se place en lieu et place d'une " oreille peinte avec de l'anti matière " et la co-notation métaphysique du " Portrait de son frère mort ".

Plus simplement, une pièce paraît plus grande quand elle est vide que lorsqu'elle est meublée. On rejoint également les quatre préceptes des jardins chinois :

1.                faire tenir le maximum dans le minimum de place,
2.                donner l'impression d'un vaste espace alors que celui-ci est réduit,
3.                faire que le réel stimule l'imaginaire,
4.                faire en sorte que l'imaginaire apparaisse réel.
L'analyse du phénomène " vision " amène à se poser un certain nombre de questions sur le traitement de l'information. Merleau-Ponty s'arrête sur l'inversion de l'image au niveau de la rétine et le redressement qui s'opère pour restituer une image avec un haut et un bas conforme à ce qui est pour nous la réalité d'un bipède vivant en orthostatisme. L'autre caractéristique de notre vision qu'il évoque est celle de la profondeur de champ, du relief. Lorsque nous voyons dans un paysage de montagne, les différents plans se succéder suivant une palette de bleus délicats, image que nous retrouvons parfaitement plane sur un cliché photographique, nous savons intuitivement que ces différentes chaînes de collines et de montagnes sont souvent séparées de vastes distances. A faible distance  la profondeur de l'espace peut être la résultante de l'analyse empirique de deux sensations qui se complètent : la vue et le système vestibulaire, la distance étant appréciée par le mouvement de la main pour saisir ou toucher un objet. 
Sommet de l'Himalaya.
Photographie : Philippe Scherpereel
A coté de son rôle dans le contrôle des mouvements des yeux, de l'équilibre, le système vestibulaire semble également impliqué dans la mémoire des déplacements. Il permet de reproduire des rotations, des translations du corps et différentes séquences ayant lieu au cours des mouvements du corps. Cela suppose donc l'existence d'un espace objectif que nos sens nous révèlent par la perception. La conjonction de sens, qui individuellement peuvent être pris en défaut, contribue à fiabiliser cet espace objectif. En exergue d'une conférence récente, Alain Berthoz soulignait : " La création de la cohérence de la perception est déjà un défi. "  Lorsque nous nous déplaçons, nous utilisons de multiples informations visuelles, proprioceptives, vestibulaires fournies par les sens mais aussi restituées sous forme d'images par la mémoire. Chaque type de capteur sensoriel code le mouvement et l'espace de façon différente, par rapport à des référentiels différents. Un mal voyant substituera l'analyse des sons et le toucher de sa canne blanche à la vision pour lui permettre de se déplacer dans cet espace qu'il ne voit pas. Pour le cerveau, il n'y a pas d'espace unique, mais plusieurs espaces, emboîtés les uns dans les autres, à la manière de poupées russes. Il a été montré, en imagerie fonctionnelle cérébrale, que les réseaux neuronaux qui traitent l'espace proche de l'individu ne sont pas les mêmes que ceux qui traitent l'espace lointain, hors du champs de préhension. A distance, la convergence des yeux, l'augmentation de la taille de l'objet qui se rapproche, la diminution de celui qui s'éloigne fournissent autant de signaux objectifs dont l'analyse permettra d'apprécier les distances. La conduite automobile rend compte de l'importance de cette faculté d'évaluer les distances afin d'anticiper les manœuvres.

Cette capacité à évaluer les distances est le fruit d'une expérience qui n'est pas la même pour un pilote de Grand Prix ou pour un conducteur du dimanche. La même distance entre deux Formules 1 roulant à 300 kilomètres à l'heure, sur un circuit, n'a pas la même signification si elle sépare deux voitures roulant à 50 kilomètres à l'heure, sur une départementale. Illustration de la relativité. L'expérience implique la mémoire de situations analogues qui servent de références à l'appréciation. Les connaissances que nous avons du mécanisme de la mémoire, fussent-elles encore rudimentaires, nous permettent de penser qu'il y a un traitement de l'image qui se fait dans le cerveau, que ce traitement consistera non seulement à définir ses caractéristiques de taille, de couleur, de mouvement… mais également à l'intégrer dans un ensemble, tel qu'un circuit pour le pilote, un paysage, pour le touriste, et à lui affecter une signification, telle un danger pour le pilote, la beauté du paysage pour le touriste. Cet espace, issu d'une perception retravaillée par le cerveau, est cependant bien réel, et toute erreur d'appréciation se traduira pour le pilote par un tête-à-queue ou un carambolage.

Il existe donc un lien indissoluble entre l'analyse psychologique du passage de la perception à la sensation de l'espace et du monde qui nous entoure et les mécanismes cérébraux qui le permettent. Les règles de la perspective, comme dans l'exemple de la route dont les bords semblent se rejoindre à mesure que la vue s'éloigne du point d'observation, implique une intégration cérébrale, fruit de l'expérience, c'est à dire de perceptions similaires, ayant fait l'objet d'analyses concordantes et mémorisées pour aboutir au concept de perspective. De la même manière la vision d'objets ronds - la lune, le soleil, le ballon - permettent à un certain stade du développement psychique de conceptualiser le cercle et la sphère.

Ces formes géométriques font peu à peu partie du patrimoine cérébral. Le cerveau explore et analyse tout ce qui lui parvient : il classe, trie, organise, hiérarchise et produit des algorithmes internes de traitement de l'information, de réponse et de comportement. Une illustration très curieuse est apportée par des expérimentations de John Christie qui place les sujets devant un carré blanc ou un disque, et leur demande de marquer par une croix dans la figure trois points choisis au hasard. L'expérience reproduite sur 602 personnes montre de façon étonnante une distribution non aléatoire des points à l'intérieur du carré ou du disque selon des points géométriques particuliers (centre, sommets, milieu des côtés) et des zones particulières (axes de symétrie et diagonales). Si l'on demande à un nombre important de sujets de choisir un nombre entre 1 et 9, la réponse obtenue est 7 dans près d'un tiers des cas. Un fonctionnement inconscient et irrépressible lié aux algorithmes d'analyse d'images du cerveau perturbe le choix des points aléatoires introduisant un biais de positivité géométrique. Le hasard arithmétique mental est aussi différent de la détermination aléatoire de nombres effectuée par un ordinateur. Le cerveau produira des densités de probabilité caractéristiques différentes des densités de probabilité uniformes produites par l'ordinateur. Le cerveau impose ses choix et fait disparaître le hasard. Il faudrait sans doute un cerveau " vierge "  de toute connotation apprise (mémoire), de toute influence psychologique (émotion) et de tout raisonnement pour revenir à l'aléatoire. Il est hautement probable que la distribution des points ne se fait pas " instinctivement " mais qu'elle est le résultat d'un comportement appris.

L'assertion d'un monde extérieur réel, le concept d'objet matériel, relève de la création arbitraire par l'esprit humain, mais doit sa signification et sa justification exclusivement à la totalité des impressions sensibles que nous associons avec lui. La perception est un processus actif et créatif qui implique bien plus que la simple information donnée par la rétine. Le cerveau a la capacité de transformer une perception en sensation simple, puis en une image signifiante. " On ne voit pas ce que l'on est en train de regarder, on regarde ce que l'on voit. " Cette phrase résume la " Geststalt theory " telle que l'ont développée Max Wertheimer, Kurt Koffka ou Wolfgang Köhler, ou s'illustre, comme l'a fait sur un mode égrillard Jean Pierre Changeux dans " L'homme neuronal ", par  la vision de la même image interprétée comme une coupe à champagne ou un bikini. La vision nécessite l'activité en boucle de plusieurs aires visuelles possédant des connexions réentrantes. Nous aboutissons à l'" existence réelle " parce que " dans notre pensée, nous attribuons à ce concept d'objet matériel, une signification qui est à un haut degré indépendante des impressions sensibles qui lui ont originairement donné naissance ". Einstein clôt ainsi le débat de la virtualité du monde extérieur, même si comme l'écrit Bachelard : " C'est le réel et non pas la connaissance qui porte la marque de l'ambiguïté. ".

A côté des concepts et des théories scientifiques dont la finalité est d'approcher la réalité de l'Univers, l'Homme est aussi capable de création. L'art sous toutes ses formes est un autre aspect de la conceptualisation, pouvant prendre naissance dans les perceptions sensorielles qu'il restitue porteur de la marque de la personnalité de l'artiste, mais pouvant aussi matérialiser des concepts abstraits. L'abstraction en peinture peut prendre différentes expressions qu'il s'agisse de l'abstraction géométrique, d'un Mondrian, d'un Vassarely, l'abstraction des formes, d'un Braque, d'un Picasso ou l'abstraction lyrique, d'un Mathieu ou d'un Zao Wou Ki. L'architecture, créatrice d'espaces de vie, devra concilier les lois de la physique et l'expression artistique de l'architecte, pouvant aller de l'exubérance d'un Gaudi aux lignes épurées de l'architecture moderne, minimalisme, déconstructivisme… L'architecture reflète aussi son époque et traduit dans la pierre l'évolution d'une société : du roman, au gothique et au flamboyant, décadence des dernières dynasties égyptiennes, classicisme du Grand Siècle, libération des formes du modern style… Chaque époque, chaque société à produit une architecture qui est son miroir fidèle  (Mussolinien, Stalinien…).

La perspective de simplification et d'unification qu'entrouvre l'infiniment petit avec l'existence des particules élémentaires où la matière rejoint l'énergie, trouve certaines correspondances dans notre monde visible. De même que l'ensemble du code génétique repose sur l'arrangement différent de trois bases puriques, les codons, que la matière organique repose sur 3 catégories de substances, glucides, lipides et protéines, elles-mêmes reposant sur 3 atomes majeurs le carbone, l'azote et l'oxygène, notre perception du monde repose pour la vision des objets sur des couleurs fondamentales, issues de la décomposition de la lumière par le prisme, et pour les sons, de vibrations et d'harmoniques. La décomposition de la lumière blanche par le prisme se fait en 7 couleurs fondamentales. Les partitions musicales des plus grandes symphonies reposent sur l'arrangement de 7 notes, disposées sur différentes octaves, dont la perception ne se manifeste qu'en cas d'erreur - fausse note -.

Lorsque j'écoute une symphonie, je ne perçois pas les notes mais un continuum  mélodique. La persistance de la vision des couleurs fait intervenir la rémanence de l'œil. Lorsque je regarde un tableau, je n'y vois pas une juxtaposition de couleurs, mais une composition et un ensemble harmonieux. La perception de couleurs et de sons, phénomènes physiques, mesurables et quantifiables n'apparaît pas en tant que tel à la conscience, mais après avoir subi une transmutation en sensation, consécutive au passage à travers des filtres, à de nombreuses neuro modulations et inter connections neuronales et corticales.

Chaque individu a son propre sens de l'esthétique. Telle forme, telle association de couleur, telle musique qui plaira à l'un ne plaira pas forcément à l'autre, même si le consumérisme appliqué à l'art produit actuellement des phénomènes de panurgisme.

La vision en trois dimensions hauteur, largeur et profondeur restitue l'espace, mais l'espace est rarement fixe. Le plus souvent, l'observateur lui-même, les êtres et les objets observés se meuvent dans cet espace impliquant une quatrième dimension qui est le temps dès lors qu'il y a déplacement que l'on pourra mesurer en terme de vitesse, c'est à dire de rapport de la distance au temps.

Le mouvement n'est pas ressenti comme une succession de situations dans l'espace en fonction du temps, comme pourrait l'évoquer une vision stroboscopique du mouvement. De la perception d'un objet en mouvement, la conscience du mouvement, de la trajectoire, résulte d'une synthèse d'un ensemble : on a la sensation d'un mouvement. Cette sensation peut être le résultat d'un trucage comme dans certains films où le véhicule demeure immobile tandis que le paysage défile en arrière plan. Cette sensation peut être altérée par l'usage de drogues comme la mescaline et au décours d'une anesthésie dite " dissociative " par la kétamine, un dérivé de l'acide lysergique. Les hallucinations ou hallucinoses, si le sujet est capable de les analyser, affectent volontiers la sensation de l'espace, s'apparentant parfois à des déplacements intersidéraux ou modifiant la perception du corps et des distances par rapport aux objets. D'autres expériences, comme celle de la lecture rapide, objectivent le fait que les mots passant rapidement dans le champs de la vision ne sont pas identifiés en tant que mots, mais de phrases, voire de la signification de la phrase.

Contrairement au temps, qu'il faut matérialiser pour le mesurer, l'espace évoque la matérialité, même lorsqu'il semble vide. Définir un espace c'est le situer par rapport à quelque chose, à des limites, à un contenu. Même la notion de vide se fait par rapport à une enceinte ou à des repères. Créer le vide au laboratoire, un vide souvent relatif, ne se conçoit que dans un espace clos. Le vide intersidéral implique qu'il soit peuplé d'astres innombrables. Le vide est souvent synonyme de non-être alors qu'il suppose qu'il y ait autour ou à coté quelque chose lui permettant d'exister. Une pièce vide n'est vide, encore qu'elle soit remplie d'air, de poussières ou d'odeurs, que parce qu'elle est entourée de murs, d'un plancher et d'un plafond. Le vide n'est pas néant, bien au contraire. Pour les chinois, il est matière et esprit. Le Vide médian est le rapport à l'autre. Le souffle du vide médian peut s'exprimer quand deux êtres recherchent ensemble le beau et le vrai. Cela peut être pour l'artiste la relation à la beauté, l'amour de l'homme et de la femme, un sourire, accomplissement d'un échange. Le néant est purement conceptuel, mais à l'inverse des concepts nés de l'expérience des sens, ses liens avec une réalité ne peuvent être établis. Il ne se définit que par son contraire, l'être, terme que récuse Platon : " Jamais rien n'est, toujours il devient… être est un terme qu'il faut partout supprimer "

L'espace qui nous entoure est fait de la séparation des éléments : ciel, mer et terre dans le paysage, murs, parquet et plafond dans la pièce où je me trouve, multiples objets, autres êtres comme autant de repères. Le récit de la création, au premier chapitre de la Genèse, introduit cette image de la séparation des éléments à partir du magma primitif. Faut il en déduire que la matière, fut elle brute, préexistait à la création et que le créateur n'eut été qu'un génial potier, malaxant la glaise pour en faire ses créatures, séparant l'eau des océans de la terre et des montagnes ? Le déni de la Science n'enlève rien à la poésie et à la valeur pédagogique du récit biblique, d'autant qu'à ce jour elle n'apporte pas d'explication rationnelle irréfutable. Plus la science fait reculer les limites de la connaissance, moins elle apporte de solutions aux grandes interrogations ontologiques. The more I read, the less I know. Comme l'horizon s'éloigne à mesure que l'on s'en approche, la Sciences recule les limites de la connaissance sans - jusqu'à présent - les atteindre.

Paradoxe parallèle du temps et de l'espace auxquels seules les limites donnent un semblant d'existence et qui suscitent ce concept d'infini qui trouve même son expression mathématique avec l'asymptote qui s'approche sans cesse de la ligne droite sans jamais pouvoir l'atteindre. Les formes géométriques, comme le cercle ou la sphère, donnent une vision anthropomorphique de la perfection. Le génie du mathématicien qui rejoint celui de l'artiste, dont Léonard de Vinci est l'expression la plus aboutie, implique à la fois une abstraction, permettant la conceptualisation, mais dans le même temps retrouve les formes naturelles primitives dont les géomètres de l'antiquité n'avaient même pas l'idée, comme celle des cristaux, n'ayant pas à l'époque les instruments permettant de les observer.

La mesure du temps reposait primitivement sur l'alternance des jours et des nuits, des cycles lunaires et des saisons. Pour illustrer le mouvement du temps et matérialiser sa mesure, l'homme a inventé des instruments cadrans solaires, horloges… faisant appel au déplacement dans l'espace d'une ombre projetée, d'un balancier, d'aiguilles…. A l'inverse, la mesure de l'espace ne semble pas devoir chercher dans un autre registre que l'espace lui-même les instruments de sa mesure. Le mètre étalon, déposé au Pavillon de Breteuil, à Sèvres, a réglé, pour des générations d'élèves passant le certificat d'études, la problématique de la mesure des corps et des distances. Ces références étalons, que sont le mètre pour les longueurs et le kilogramme pour les poids, suffisent, avec une précision toute relative, à notre vie quotidienne. Dès lors que l'on aborde l'infiniment petit, ou l'infiniment grand, ces instruments de mesure, même étendus au kilomètre ou à la tonne, ou ramenés au nanomètre ou au nano gramme, apparaissent totalement inadaptés. Les espaces entre les atomes ou les espaces intersidéraux nécessitent d'autres références où le temps pointe son museau : fréquences de vibrations au niveau atomique, années lumières des espaces intergalactiques. La définition actuelle, beaucoup plus précise, considère le mètre comme la distance parcourue par la lumière en 0,000000003335640952 seconde, mesurée par une horloge au césium.

Les unités de mesure, auxquelles nous nous référons, comme les unités de masse, correspondent à des notions abstraites. Dans la science des siècles derniers, l'unité de la notion de masse, son caractère immédiat et évident, provenaient de la vague intuition de quantité de matière. De même, la vitesse ne reste une notion claire que pour le sens commun. Peu à peu la vitesse a cessé d'être explicitée et elle apparaît de plus en plus comme fondue dans la notion de moment cinétique. La géométrie, et plus généralement les mathématiques, passent pour des Sciences " exactes ". Le passage de la géométrie euclidienne à la géométrie non euclidienne,  ne s'est pas fait simplement pour rompre avec des approximations, sans doute éloignées de la réalité mais qui avaient l'avantage de la simplicité. C'est une nouvelle approche conceptuelle reposant sur des bases totalement différentes. En poussant un peu plus loin la réflexion, le cercle parfait n'existe pas et s'arrêter à 3,1416 pour le nombre Pi, c'est s'arrêter là où il faudrait atteindre l'infini.

La conceptualisation a ses limites, et l'on ne peut pas se figurer davantage l'infini que l'éternité. Le paradoxe est que la durée et la distance existent et peuvent se mesurer, alors que le présent et le lieu sont virtuels. En français, nous n'avons qu'un seul verbe, " être ", pour marquer la place de l'individu dans le temps et dans l'espace, alors qu'en espagnol, " ser ", réfère au temps, et, " estar ", à l'espace. Le paradoxe de l'Homme est que le concept, construction de son esprit, est plus accessible à la compréhension que la réalité, de l'instant et du lieu, que l'on ne peut pas saisir. La conceptualisation de l'instant et du lieu aboutit à les nier, en les qualifiant de virtuels, alors qu'ils sont les seuls à parvenir à la conscience, autrement que par la mémoire ou l'imagination. Le concept, l'idée, même les plus complexes, sont une forme de simplification permettant une compréhension de l'existant que nous ne pouvons pas saisir en tant que tel par nos sens qui ne peuvent nous restituer notre environnement qu'en temps différé et vont nécessiter une interprétation mettant en jeu notre vécu antérieur et notre personnalité. Une odeur suave, un goût exquis, un son mélodieux, une vision sublime ne le sont que par référence à ce que nous aimons et à ce que nous connaissons. Ils ne seront pas les mêmes pour tout le monde. Les plaisirs simples sont au moins aussi grands que ceux qui nécessitent une intellectualisation intense. Bienheureux les simples et les pauvres d'esprit. Il y a sans doute plus d'éternité dans un effluve que dans n'importe quel traité de philosophie, ceux-ci étant généralement abscons et parfaitement incompréhensibles par la plupart des gens.

La distance est à la fois le rapport aux choses et ce qui les sépare. Dans l'espace, comme dans le temps, on utilisera les mêmes mots : c'est près, c'est loin. La relation se fait par rapport au présent et par rapport à soi. Comme le temps, la distance n'est pas figée : le temps s'écoule, tout bouge. Le mouvement, résultante de la distance et du temps, permet de mesurer le temps comme ce fut le cas pendant longtemps par le mouvement des astres et plus récemment par le mouvement des atomes. Réciproquement, le temps permet de mesurer les distances, comme on l'a vu pour les étoiles en années lumière. Abolir les distances, comme le permettent les avions modernes ou l'Internet, ce n'est pas rétrécir l'espace mais raccourcir le temps pour rejoindre un lieu, une personne. Dans la notion de distance, il y a la relation à l'environnement, mais aussi aux autres. Marquer ses distances, ce n'est pas seulement se tenir à distance, c'est surtout refuser une certaine forme de relation avec les autres ou avec l'événement.

La situation dans l'espace fait appel à une autre caractéristique qui est la dimension. L'espace géométrique peut se considérer, d'un point de vue statique, en une seule dimension, la ligne, en deux dimensions, la surface, en trois dimensions, le volume. D'un point de vue dynamique, le déplacement va s'opérer en un plan, défini par abscisse et ordonnée, ou dans l'espace, en trois dimensions. Le point a une situation tout à fait particulière qui l'apparente au présent. Concept, donc purement virtuel, il est comme le présent à l'origine de tout et rien ne peut se concevoir sans lui. Poincaré se disait incapable de donner la définition du point, car dès lors qu'on le considère comme un concept fondamental, il ne peut être qu'indéfinissable. Cartan écrivait : " Le point matériel était une abstraction mathématique dont nous avions pris l'habitude et à laquelle nous avions fini par attribuer une réalité physique. " Il peut théoriquement constituer le centre d'un cercle, matérialisé par la pointe d'un compas, le centre d'une sphère, mais sa localisation dans l'espace, infini (?), ne peut se faire que par rapport à des plans, correspondant aux trois dimensions, ou à d'autres objets, eux mêmes souvent en mouvement. La similitude du point et du présent est étonnante : simple construction de l'esprit humain ou structure élémentaire de l'espace ? Faire le point, c'est chercher à se situer aussi bien dans l'espace, avec un sextant, que dans le temps et tout aussi bien par rapport à soi même. Ligne, succession de points, comme le temps, succession d'instants, de présents ? Une succession de présents ne fait pas plus un passé qu'une juxtaposition de points peut délimiter une sphère, un cube.

Qu'est ce qui limite l'espace ? Est ce la couleur ou est ce la forme ? Avec la question de la préexistence de l'œuf ou de la poule, cela fait partie des questions ontologiques stupides. Pourquoi stupides ? Parce que nous voulons y apporter une réponse. L'enfant qui colorie son livre d'image ne se pose pas ce genre de question : il remplit les espaces dessinés par un trait avec de la couleur. L'artiste qui applique la peinture sur sa toile sait que la forme naîtra des couleurs qu'il juxtapose ou mélange. A l'inverse l'architecte, le sculpteur travaillent sur des formes, des volumes dont la perception passera par celle des couleurs. Formes et couleurs sont indissociables. Elles sont matière. Comme le temps est existence ?

Qu'apprenons nous de l'évolution de la peinture ? L'homme des cavernes a voulu représenter son environnement mais les limites techniques ont imposé une simplification dans la représentation des êtres et des objets en deux dimensions avec des moyens rudimentaires et des lignes dépouillées. L'antiquité égyptienne a poussé le réalisme des formes avec la sculpture en trois dimensions se libérant de la contrainte des bas reliefs. La peinture n'a pas encore résolu la perspective tridimensionnelle et les personnages vont se présenter de profil pour donner l'illusion du mouvement. Hormis de rares sculptures comme le scribe et sa femme où perce une timide tendresse, l'émotion est encore le plus souvent absente de ces figures hiératiques. Le virage va apparaître avec les peintures romaines puis les fresques de la renaissance italienne et très vite atteindre les sommets de l'expression retenue des madones, exacerbée du baroque et truculente des primitifs flamands. Aux formes austères du chapiteau dorique succèdent les feuilles d'acanthe du chapiteau corinthien, du dépouillement du roman, on passe au gothique et au flamboyant, de la rigueur classique au baroque. Expression de la décadence pour certains, triomphe de la vie, du réel sur l'esprit, le raisonnement. Des parallèles s'imposent entre les différentes formes de l'art, marques d'une époque, comme le romantisme, en musique et en littérature. Ces époques tantôt caractérisées par l'exubérance ou la rigueur, illustrent le combat permanent dans l'histoire de l'humanité entre la prééminence de la perception du monde et sa vision intellectuelle. L'impressionnisme va se heurter au classicisme le plus conventionnel, tandis que l'abstraction géométrique va coexister avec l'abstraction lyrique et avec le surréalisme. Il n'y a pas de jugement de valeur à porter sur une approche plus émotionnelle ou intellectualisée, sensorielle ou conceptuelle, de la réalité ou de la pensée. Ce que l'on appelle la réalité est tout aussi insaisissable que la conception intellectuelle et l'art est une autre approche de l'être mariant la perception des matières à la vision de l'artiste, apportant une autre forme de communicabilité que celle des sens ou de l'esprit, une fusion de la matière et de la pensée. En cela, l'art dépasse à la fois la perception et la conceptualisation. François Cheng a écrit : " les artistes tissent une relation intime, un dialogue avec la nature. La mission du peintre est de révéler ce qui est caché. Une beauté invisible est vaine. La beauté est un secret bien gardé par la nature. Le peintre la fait jaillir, la rend éclatante. " Chaque forme de l'art fait appel à des sens différents : la peinture à la vue, la musique à l'ouie, la sculpture au toucher… Toutes vont nécessiter une transmutation, sorte d'alchimie permettant le passage de la matière à la pensée. Ce faisant l'art échappe, au moins en partie, au divorce entre perception et réalité, entre pensée et être. L'art étant communication, il exprime le plus intime de l'artiste et pas seulement des sensations ou des constructions intellectuelles. Dans le même temps il parle à celui qui regarde un tableau, écoute une symphonie. La rencontre d'un artiste à travers son œuvre est plus que la perception de ce qu'il montre, des sons ou des couleurs qu'il assemble, car cette perception est indissociable de l'émotion qu'elle produit. Même si l'artiste est humble et qu'il refuse de projeter son moi dans son œuvre, même s'il en accepte le caractère éphémère, il y insuffle le " Vide médian ", la rencontre de l'artiste et de son œuvre, qui est le moment où la beauté invisible devient visible. François Cheng a écrit : " la Beauté est un processus de devenir résultant d'une rencontre. "  L'idée maîtresse du surréalisme est sans doute ce découplage entre les choses et leur signification. De la rencontre fortuite de deux objets peut jaillir l'étincelle de la pensée. L'écriture automatique permet de prendre ses distances avec le rationnel, non pas pour aller au delà du réel, mais sans doute d'atteindre, par la perte du contrôle de la perception et du raisonnement, la nature profonde des êtres et des choses. L'incommunicabilité ne peut être vaincue que par l'irrationnel. Cet irrationnel peut venir aussi bien de l'abstraction picturale ou du minimalisme architectural, que des délires surréalistes ou baroques. Cette communion de la perception et de la pensée n'est pas le propre de l'art et le spectacle de la nature est tout aussi capable d'approcher son mystère. Le spectacle offert par la nature peut aider à la méditation. Le sadhu contemplant le lever du soleil sur le Gange à Bénarès retrouve sans doute l'harmonie unissant la perception de la nature à ce qui fait l'existence d'un être. Paradoxalement, son insensibilité au monde extérieur lui permet d'atteindre sa compréhension. L'ambition des contemplatifs est d'aller encore plus loin en tentant par la méditation et le silence de toucher l'existence de Dieu. On est là dans une autre dimension qui transcende celle de la perception sensorielle et de la compréhension intellectuelle. Elle est le fondement de l'émotion artistique et de la foi, mais autant nous sommes certains de la virtualité de nos perceptions et de nos raisonnements, autant rien ne nous garantit la réalité de ce que cette approche transcendantale nous révèle. Dans ce domaine nous n'avons même pas ces rambardes que constituent la précision des mesures et la rigueur du raisonnement. La marge est étroite qui sépare le génie de la folie, l'intuition du délire. Du moins ce que nous appelons le délire. La peinture de Van Gogh nous en apprend plus sur les tournesols que la photographie de champs entiers, quelque soit la maîtrise du photographe. Le génie d'un peintre, la magie d'un lieu est de nous mettre en prise avec l'incommunicable. On retrouve l'un des thèmes favoris de Jean Cocteau dont la poésie permet aux mots de dire autre chose que ce qu'ils signifient. Les mots, créés pour représenter une réalité, n'y atteignent parfois que lorsqu'ils s'entrechoquent : la " beauté sera convulsive ". Du choc des silex naît l'étincelle.

Au cours de mes voyages, j'ai rencontré de nombreux lieux magiques. La plupart traînaient derrière eux le souvenir de personnages ou les marques de l'Histoire. C'est ainsi qu'il m'est arrivé, un matin d'hiver de prendre à la gare de Naples le train pour Pompéi. Je me suis promené absolument seul dans les ruines de la cité. Un pâle soleil d'hiver caressait les pierres et le Vésuve à l'horizon paraissait bien pacifique. J'étais étreint par l'émotion sans même avoir à imaginer le cataclysme de l'éruption et la panique des habitants. De petits détails singuliers s'offraient à ma vue qui m'en disaient sans doute plus long que n'importe quel péplum hollywoodien. Ceci n'était possible que du fait de ma solitude et du silence dans ces lieux bruissant habituellement de hordes de touristes. J'ai connu des émotions semblables en Egypte, dans les tombes de la vallée des rois, dès lors que je pouvais m'isoler, ne serait ce qu'un instant, et éviter les discours, aussi savants qu'insipides, de guides pénétrés du sentiment de vous faire toucher l'histoire du doigt, alors qu'ils tuaient l'esprit des lieux. Il est très rare qu'un guide suscite mon intérêt et j'ai coutume de visiter seul les musées, à mon rythme, m'arrêtant quand je le veux et me laissant guider par mes émotions. Cela conduit à des chocs émotionnels intenses comme celui que j'ai éprouvé en découvrant au sommet d'un escalier du couvent de San Marco, à Florence, le tableau de l'annonciation de Fra Angelico. Florence a le don de vous réserver dans chaque couvent, dans chaque église et dans chaque palais, ce genre de surprise. Mais c'est aussi à Florence l'unique fois que j'ai pris plaisir à visiter un musée avec un guide. C'était au cours d'une visite privée, que j'avais organisée avec quelques amis, après que le musée des Offices se soit vidé de ses visiteurs. Nous étions seuls avec la guide qui nous épargna la cavalcade dans les salles et les discours pontifiants pour nous amener devant quelques tableaux, choisis de façon très éclectique, pour nous suggérer par petites touches impressionnistes la sensibilité du peintre nous laissant suffisamment de silence pour laisser affleurer nos émotions. Je n'ai pas la prétention de dire que les émotions que j'ai pu ressentir dans ces diverses circonstances m'aient permis d'atteindre à la connaissance de la réalité. Tout au plus était-ce la mienne, déformée par le prisme de ma propre vision et de ma personnalité. C'était ma vérité, mon authenticité, donc toute relative. Chacun ayant la sienne, on peut se demander s'il existe une réalité unique ou si les choses, les êtres n'existent que d'un certain point de vue. C'est une Théorie de la Relativité qui n'a rien de mathématique mais qui peut rendre compte de l'absence de congruence entre perception et conceptualisation.

La mesure d'un espace fixe est déjà difficile, et la difficulté s'accroît lorsque l'on raisonne en deux puis en trois dimensions, et surtout lorsque l'on aborde les mouvements dans l'espace ; rapport de l'espace au temps qui en est la quatrième dimension. Mais n'y a-t-il que quatre dimensions ?
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