De la perception au concept et à la conscience - page 2

Les mots, les chiffres et autres signes conventionnels constituent les briques de la conceptualisation et de l'échange des concepts. Le langage, au cours de son acquisition, va conduire à associer des mots à des objets, puis relier des mots ou des phrases à des sensations, des émotions, enfin échanger des images et des concepts sous forme d'objets mentaux. De même que les notes de musique pour construire une symphonie n'existent qu'en nombre limité et se plient à toutes les fantaisies du compositeur, de même en est-il des chiffres et des lettres. Avec dix chiffres (comme les dix doigts de la main ? ?) il est possible de figurer tous les nombres du zéro à l'infini. Le zéro est lui même, comme on l'a vu pour le temps, une sorte d'infini ou de fini " sans bord ". " Les nombres premiers sont un peu des particules élémentaires pour les mathématiques. " a écrit Alain Connes. Avec les quatre symboles de l'arithmétique (addition, soustraction, multiplication et division), il est possible d'effectuer avec les dix chiffres toutes les opérations nécessaires à la vie courante sans avoir recours aux dérivés premières, intégrales et racines carrées… Si on y rajoute les principales unités de mesure, de longueur, de temps, de masse… On dispose avec un minimum de signes conventionnels des concepts " utiles ". Avec un nombre fini de lettres constituant l'alphabet dans les différentes langues, il est possible en les réunissant suivant des assemblages, variables à l'infini également, de composer les mots qui vont matérialiser les perceptions sensorielles et les concepts permettant les échanges écrits et oraux, la transmission du savoir et la vie en société. " La langue est la poésie originelle, dans laquelle un peuple dit l'être. " a écrit Heidegger. Des inscriptions des cavernes préhistoriques, aux hiéroglyphes, aux alphabets actuels, l'évolution de la forme du symbole s'est éloignée progressivement de la perception du concept représenté pour y revenir avec les pictogrammes.

De cette digression retenons que l'Homme a reproduit dans la matérialisation de ses concepts les recettes de la nature. Il existe une symétrie frappante entre l'assemblage, sous le contrôle des gênes, des bases puriques, la structure des particules élémentaires, les 92 atomes de la classification périodique et l'alphabet permettant la formation des mots, des phrases.

A cela deux explications possibles : l'Homme a retrouvé spontanément sans le savoir, la grande loi d'unicité, les " briques " primaires de la nature ou bien a t-il conceptualisé les lois qu'il découvrait selon sa vision anthropomorphique des choses ?

La logique, en particulier mathématique, relie les concepts pour leur assurer une cohérence qui leur confère l'apparence de la réalité. Néanmoins, physique, chimie, astronomie, biologie sont autant de conceptualisations dont on ignore à peu près tout des relations avec la réalité. Ce sont des approches, des images de ce que pourrait être la réalité qui cadrent assez bien en retour avec la perception ou l'expérience que l'on peut en avoir. Claude Bernard était sans doute persuadé qu'avec la méthode expérimentale, il effectuait ce va-et-vient entre le concept scientifique et la réalité biologique, alors qu'il n'en était qu'à une approche physiologique de phénomènes  observables à l'œil nu. Paradoxalement, le niveau de preuve semble plus élevé pour des expérimentations de physiologie élémentaire qui font appel à l'observation par les sens, tels que la vue ou le toucher, que pour des recherches aboutissant à une conceptualisation beaucoup plus sophistiquée, basée sur des preuves mathématiques ou des mesures indirectes beaucoup plus complexes. En regardant les contractions du muscle gastrocnémien de grenouille, Claude Bernard avait une certitude plus grande de ses hypothèses que le biochimiste explorant les transferts d'acétylcholine au niveau de la plaque motrice, même si l'explication du mécanisme de la contraction va bien au delà de la simple observation de phénomène. Francis Kaplan parle de concepts " bricolés " pour mieux cadrer avec la réalité. Ce qualificatif paraît pléonastique car par définition le concept est élaboré pour coller au mieux à la réalité. Jean Perrin disait :  " Tout concept finit par perdre son utilité, sa signification même, quand on s'éloigne de plus en plus des conditions expérimentales dans lesquelles il a été formulé. " Les concepts sont faits pour être revus, repensés, passés au crible de l'expérimentation. " C'est au moment où un concept change de sens qu'il a le plus de sens, c'est alors qu'il est, en toute vérité, un évènement de la conceptualisation. " Même comme cela, un concept ne correspond jamais exactement à la réalité parce que l'on ignore ce qu'elle est tout en postulant qu'elle existe. Cela participe de notre incapacité à expliquer qu'il existe quelque chose plutôt que rien. Il y a là une énigme mais qui n'est pas d'ordre scientifique. Parler d'atomes, de molécules n'est pas donner une image exacte de la réalité mais c'est élaborer des concepts scientifiques qui permettront de donner une cohérence aux concepts fondamentaux : être, temps, espace. Le concept le plus sophistiqué, qui s'approche sans doute le plus de la réalité des choses, n'est pas forcément celui qui rend le mieux compte de la supposée réalité, car sa complexité le rend moins compréhensible. Le simple est toujours le simplifié. Ainsi en est-il par exemple de la gravitation universelle par rapport à la relativité, ou de la géométrie euclidienne par rapport aux géométries non euclidiennes. Même si les concepts constituent l'idéal type dans toutes les sciences, de la sociologie comme de la physique, aucun n'est capable de coller parfaitement à la réalité. C'est pourtant à partir de concepts que l'on approchera l'espace et le temps réels avec une certaine marge d'erreur dont on s'accommode parfaitement dans la vie courante. La perception du passé, la mémoire, du présent, la conscience, et du futur, l'imagination, donnent naissance au concept de temps qui résume l'être, autrement dit sa vie. Dans ce concept, on introduit la notion de séquence, alors que l'individu est en perpétuel aller-retour entre le passé et l'avenir, entre la mémoire et l'imaginaire. L'être se nourrit de son propre passé pour créer son futur.

L'apparition de la conceptualisation est un élément essentiel du développement psychique de l'enfant. Les premiers contacts du nouveau-né avec le monde extérieur sont purement du domaine de la perception qu'il s'agisse de la lumière et du bruit. Le passage à la sensation va s'effectuer très vite, les stimuli étant vécus comme des agressions entraînant le réveil et les pleurs. Une sensation va très vite dominer les autres, c'est celle de faim entraînant des pleurs dont l'enfant s'apercevra très vite qu'ils constituent le moyen d'obtenir satisfaction. On est encore du domaine Pavlovien de même qu'un contact buccal entraînera un réflexe de succion, ou un contact palmaire un réflexe de préhension.
A l'origine de l'expérience de l'enfant, il y a les objets. Pour saisir un objet, il va falloir faire un mouvement. Au début, la préhension est malhabile, mais si je peux toucher, je peux prendre. Lorsque l'enfant va se mouvoir, en particulier commencer à marcher, il va pouvoir aller chercher un objet qu'il veut prendre. Cette nécessité de se déplacer pour atteindre un objet suppose un premier raisonnement qu'il faut effectuer, une manœuvre avant de pouvoir se saisir de l'objet. La répétition de ces manœuvres va engendrer un premier concept qui est la distance. Par apurements, sophistications successives, le concept va évoluer et désigner l'éloignement d'objets qui ne peuvent être atteints. C'est loin la mer ?
Lola
Photographie : Philippe Scherpereel
D'une expérience sensorielle élémentaire, le tact, l'enfant a combiné une autre perception, la vue, puis par intégration cognitive de ces messages, une conceptualisation. Toute l'éducation de l'enfant va viser à une conceptualisation de plus en plus poussée par l'acquisition de signes conventionnels, le langage, les mots, puis l'écriture, les lettres, le calcul, les chiffres, qui eux-mêmes constitueront les briques élémentaires de concepts " évolués ", comme les mathématiques. Piaget a défini trois stades dans le développement cognitif de l'enfant : l'intelligence sensori-motrice fondée sur les sens et l'action jusqu'à 2 ans, la mise en place des opérations concrètes entre 2 et 12 ans et enfin le stade du raisonnement logique après 12 ans. L'éducation permet la transmission d'individu à individu du savoir, qui est un ensemble de concepts " tout fait " " prêts à porter ", dont l'acquisition de fait dans la famille, à l'école, d'ou l'importance du " milieu éducatif ". Chaque petit d'Homme part de zéro concept. Il n'y a pas de transmission de concept par les gênes, même si ceux-ci sont porteurs d'une capacité plus ou moins grande à conceptualiser. Ceci est différent de l'instinct, que l'on retrouve chez les animaux et qui ne génère que des comportements. Avec l'évolution de la société, du monde il sera exposé à acquérir ces concepts plus rapidement, grâce à la transmission du savoir. L'acquisition de concepts nouveaux, plus nombreux, plus élaborés, va se faire de génération en génération, à la manière de la transmission du savoir faire des artisans, de père en fils.

La perception en elle-même n'est déjà pas chose simple. Si l'on considère les sens, chaque perception va nécessiter un processus complexe. L'odorat va permettre la perception des odeurs engendrant des sensations olfactives rarement simples, plus souvent complexes, d'un fumet délicat, de l'arôme d'un vin ou des senteurs multiples d'un parfum. A ces odeurs s'attacheront tantôt la jouissance et le plaisir, tantôt l'horreur et le dégoût. Des cinq sens, l'odorat est sans doute le plus complexe. Richard Axel et Linda Buck ont obtenu le prix Nobel de Médecine et de Physiologie 2004 pour avoir décrypté le système olfactif depuis le niveau moléculaire jusqu'à l'organisation cellulaire. Des centaines de récepteurs spécifiques sont nécessaires à la perception et à la reconnaissance des odeurs. Les récepteurs olfactifs sont codés par autant de gènes et correspondent à autant de neurones olfactifs primaires. Les récepteurs olfactifs sont couplés à la protéine G Les molécules odorantes dans l'air inspiré vont se lier aux récepteurs olfactifs qui vont activer les cellules de l'épithélium nasal qui les portent et transmettre des influx sous forme de signaux électriques vers le bulbe olfactif et le cortex piriforme, qui est le cortex olfactif primaire essentiel. La charge émotionnelle des odeurs repose sur une projection dans l'aire amygdalienne. La mémorisation d'une odeur met en jeu un ensemble de structures activées en parallèle et fonctionnant en réseau. Elles activent les aires corticales en plus des structures impliquées dans la mémoire. La mémoire des odeurs a des liens privilégiés avec les émotions : odeur de tabac, madeleine de Proust...

Si nous considérons la vue, la vision d'un objet fait intervenir la forme, la couleur, la luminosité, la distance… La vision que je peux avoir d'une pièce avec ses meubles, ses tapis, ses tableaux, changeant d'un instant à l'autre, en fonction de l'angle de vue, est d'une grande complexité, mais l'image restituée est d'une grande cohérence dans ses plus petits détails. Cette image avec son relief, ses formes constitue dans notre esprit la réalité de la pièce où je sais que chaque chose a sa place et dont les objets me sont familiers. Si l'on considère l'illusion des contours dans un triangle de Kanizsa, précédemment décrit, on ne retrouve aucune des caractéristiques physiques de l'image faite de forme, de couleur et de lumière comme nous l'avons analysée. Le cerveau se ferait-il piéger ? On ne voit pas ce que l'on est en train de regarder, on regarde ce que l'on voit comme l'on montré les psychologues Allemands fondateurs de la Gestalt. Francis Crick a donné d'autres exemples visuels, comme ce vase qui se change selon la façon dont on le regarde, en deux profils opposés. D'une image aussi simple, comparée à la complexité de la pièce, il y a reconstruction par le cerveau d'une image virtuelle. Nous en avons vu des exemples avec les illusions d'optique et les trompe-l'œil qui relativisent déjà la réalité par rapport à la perception, mais cet écart est véniel par apport à celui qui existe entre la perception et la cognition.  Il y a tout lieu de penser que les choses existent en dehors de la perception de l'image que l'on s'en fait et de la conscience que l'on en a. Le mur de la chambre est toujours là quand je ferme les yeux et que je m'endors, et le monde continuera à tourner lorsque je m'arrêterai de vivre. Le cerveau à l'inverse est parfaitement capable de créer des perceptions, comme la douleur des membres fantômes chez les amputés, hallucinations qui l'égarent ou hallucinoses qu'il est capable de discerner et de critiquer ?
Même dans le sommeil, le cerveau est capable de créer des perceptions et sensations virtuelles, de les intégrer dans un continuum pour constituer les rêves.

Si les hallucinations, les rêves, pures créations du cerveau ne peuvent être rapportés à la réalité, on ne peut dénier la réalité (l'existence) du temps et de l'espace dès lors que leur processus de conceptualisation part de nos expériences sensorielles, fussent-elles biaisées, en dépit de la sophistication de nos sens.

La conscience est liée au fonctionnement du cerveau. Elle disparaît temporairement, avec le sommeil physiologique ou pharmacologique, et définitivement, avec la mort cérébrale ou pour le moins la destruction de zones essentielles du cerveau.
Plafond de la Chapelle Sixtine. Michel Ange.
Source : Wikipedia
La conscience permet l'acquisition des qualia qui vont constituer les effets subjectifs des expériences perceptives extéroceptives, avec la possibilité tout à la fois de sentir, de voir et d'entendre un objet extérieur, modulées par les sensations proprioceptives, telles que la douleur, la faim…Ainsi, la douleur qui est une émotion primordiale puissante, est capable de chasser du courant de la conscience toute autre forme de perception. La conscience suppose la séquence d'opérations cérébrales de plus en plus complexes débutant avec la perception, impliquant la mémoire de situations similaires, puis l'intégration par les fonctions cognitives. La perception élémentaire, s'enrichit en sensation et s'épanouit avec la cognition. La complexité s'accroît de façon exponentielle entre la perception d'un point lumineux, à la vision d'un objet puis d'un ensemble tel que la contemplation du plafond de la Chapelle Sixtine où à la cognition viendra encore s'ajouter l'émotion artistique. 
Les mécanismes neuronaux qui sous tendent la notion de conscience doivent pouvoir rendre compte de l'attention et de la capacité de déplacer l'objet de l'attention de manière sélective, de la manipulation d'idées abstraites avec l'usage de symboles et de mots, de la faculté d'anticipation, de l'existence d'une conscience de soi et d'une mémoire. La théorie cognitive de la conscience, proposée initialement par Newell et développée ultérieurement par Bernard Baars, fait intervenir l'hypothèse d'un " espace de travail global " qui implique une large dissémination des sources d'informations au niveau du cerveau qui permet de résoudre des problèmes auxquels une localisation unique n'apporte pas l'explication. L'imagerie fonctionnelle du cerveau montre désormais que la cognition consciente est clairement liée à des activités corticales largement  disséminées, notamment dans les régions fronto pariétales et médio temporales. Une réduction du métabolisme fronto pariétal est observée dans les états inconscients tels que le sommeil profond, les états de coma végétatifs, les pertes de conscience post-épileptiques et l'anesthésie générale. Des processus spécialisés inconscients, tels que ceux observés dans les aires de projection visuelle, peuvent être associés à l'espace de travail conscient, introduisant la notion de contexte que l'on peut définir comme un " groupe de travail stable ayant à terme un accès privilégié à l'espace de travail global. " Les contextes constituent le savoir conceptuel, l'acquis de l'expérience, l'imagerie mentale, la conscience de soi, ce que Jean Pierre Changeux résume dans la " tournure d'esprit " de l'individu. L'espace de travail global est constitué d'un réseau de neurones distribués et fortement interconnectés, les connexions pouvant être excitatrices ou inhibitrices, passant d'un hémisphère à l'autre en traversant le corps calleux. Des connexions verticales réciproques entre les neurones de couche V du cortex et les noyaux thalamiques constituent des sortes de réseaux de " processeurs " dans le modèle neurophysiologique de la conscience proposé par Changeux et Dehaene. Le traitement automatique d'une tâche cognitive ne requerrant aucun effort peut impliquer l'activation des processeurs spécialisés sans pour autant mobiliser les neurones de l'espace de travail, le meilleur exemple étant la conduite automatique de sa voiture lorsque l'attention est attirée ailleurs. Outre leur dissémination multiloculaire, les processus de conscience sont séquentiels, retrouvant l'expression de William James de " courant de conscience. "

Dans de tels processus, la mémoire joue un rôle essentiel. La conscience primaire est confinée au présent remémoré, c'est à dire obtenue par la réentrée d'une mémoire. La mémoire à court terme est étroitement liée à la conscience même si ce n'est pas la même chose. La conscience pourrait jouer un rôle de mémoire de travail momentanée permettant au pianiste d'enchaîner les notes et les accords. La mémoire à court terme devient alors une grande réserve de mémoire courante qui retient l'information un peu plus longtemps que la conscience et avec un peu plus de détails. La mémoire ne repose pas sur une circuiterie qui dans des conditions similaires reproduirait les perceptions et entraînerait les comportements à l'identique. Il ne s'agit pas de réflexes conditionnés mais la mise en jeu de la mémoire est toujours modulée par une adaptation aux circonstances extérieures et au vécu de l'individu. Si je dois me rendre à une adresse dans Paris, je prendrais le métro m'orientant dans le dédale des lignes et des couloirs, d'autant plus facilement que j'aurai fait le trajet très souvent.

Je reconnaîtrai la porte, le bouton ou le code confidentiel qui l'ouvre. Je monterai les étages jusqu'à la porte palière. Je le ferai s'il fait jour ou s'il fait nuit, s'il y a foule ou si je suis seul, s'il pleut ou si le ciel est ensoleillé, si ce faisant je me rends chez le dentiste ou à un rendez-vous amoureux. Dans tous les cas " si ma mémoire est bonne ", j'arriverai devant la bonne porte, mais après avoir intégré combien de variations et effectué combien d'adaptations comportementales ! ! Ces adaptations sont le résultat d'allers et retours permanents entre perception, mémoire et exercice des fonctions cognitives, modulés par les émotions et le contexte psychologique. Alain Berthoz qui a particulièrement travaillé sur ce modèle de conscience de l'espace que constitue la mémoire d'un trajet considère qu'elle met en jeu deux stratégies cognitives différentes. La première, celle de la " route ", qu'il qualifie d'égocentrique ou de topokinesthésique, implique les mouvements du corps et leur adaptation à certains évènements ayant pu survenir sur le parcours. La seconde stratégie de " survol ", allocentrique et topographique, utilise une représentation de type cartographique, impliquant les capacités cognitives de l'individu à manipuler mentalement l'espace. En imagerie cérébrale fonctionnelle, utilisant le Pet-scan, on constate que de très nombreuses aires cérébrales sont activées lors de la mémorisation d'un trajet. La stratégie de type " route " active principalement de façon bilatérale le para hippocampe, tandis que la stratégie de " survol " s'accompagne d'une activation de l'hippocampe droit. De telles constatations sont à l'origine de la survenue d'une spécialisation des deux hippocampes au cours de l'évolution, comme pour le cortex. L'hippocampe droit serait destiné à coder les aspects globaux, allocentriques, alors que l'hippocampe gauche traiterait plutôt les aspects catégoriels et séquentiels. La constatation qu'homme et femme ne mettent pas en jeu les mêmes aires cérébrales, système parieto-frontal dans la stratégie de type " route " chez la femme, avec en plus des aires temporales,  comme dans la stratégie de " survol ", chez l'homme, pourrait rendre compte des difficultés que rencontrent certaines femmes avec le sens de l'orientation. Des expériences effectuées en réalité virtuelle ont mis en évidence l'activation de plusieurs aires cérébrales dont le système temporo-pariétal, le parahippocampe, le cortex rétrosplénial, des aires frontales……

Mémoire et conscience sont des phénomènes actifs et les données ne sont pas rangées dans un coin du cerveau en attendant qu'on les utilise. La conscience primaire que l'on trouve chez certains animaux permet déjà un certain degré d'adaptation, fonction des expériences vécues. L'observation prolongée de mes chats m'a convaincu qu'ils étaient capables non seulement d'émotions primaires, comme le plaisir ou la colère, mais également de véritables sentiments, auxquels ne manquait que la parole pour s'exprimer. J'ai vu de façon poignante un chat se laisser mourir de faim après la mort de sa compagne refusant toute nourriture et n'acceptant que les  paroles et les caresses.
La conscience d'ordre supérieur naît avec l'apparition de compétences sémantiques au cours de l'évolution des espèces en particulier l'acquisition du langage. Elle nous délivre de la " tyrannie du présent remémoré " en conduisant à la construction d'un domaine des sentiments, des émotions, des pensées, de l'imaginaire, de la personnalité et de la volonté. La conscience de niveau supérieur va permettre d'intégrer des concepts, c'est à dire une mémoire où les expériences antérieures ont été analysées pour leur conférer une signification. Les processus physico-chimiques qui sous-tendent la conscience d'ordre supérieur, sont probablement de même nature, les mécanismes synaptiques similaires à ceux de la conscience primaire, mais d'une complexité actuellement, et probablement, pour longtemps inaccessible.

Dans cette extrême complexité, il ne semble pas y avoir de place pour l'aléatoire, sauf à penser que les aléas puissent déboucher sur l'erreur ou l'aberration. Après tout, pourquoi pas ? Des circuits préférentiels sont-ils suffisants pour rendre compte de la personnalité d'un individu ? La conscience que l'on a d'un événement peut déclencher des réactions imprévisibles même en connaissant le caractère d'un individu. Une chute peut susciter la compassion ou le rire. Nous ne sommes pas programmés pour réagir d'une façon stéréotypée aux évènements. L'exercice des fonctions les plus élevées de la condition humaine, comme la liberté ou les valeurs morales, pourraient reposer sur des interconnexions neuronales dont nous ne sommes pas maîtres, au niveau unitaire, mais dont le développement de " circuits préférentiels " par l'habitude, l'éducation, la pensée, permettraient un contrôle global. L'éducation chez l'enfant, voir le dressage chez certains animaux, permettraient l'établissement de ces " circuits préférentiels " à partir de concepts primaires résultats d'interdiction, de punition ou de récompense.
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