Avicenne, Ibn-Sina. Médecin, savant, philosophe.


Abu Ali al-Hussein ibn-Abdullah Ibn-Sina, connu sous le nom d'Avicenne, était un médecin, scientifique et philosophe perse, dont les écrits influencèrent profondément la médecine occidentale au Moyen-âge.

Il naquit le 7 août 980 à Afshèna, près de Boukhara, dans la province Perse de Khorasan, dans l'actuel Ouzbékistan et mourut à Hamadan, dans l'actuel Iran, en août 1037. Son père, musulman chiite ismaélien, est collecteur d'impôts de l'administration samanide. Sa langue maternelle est le persan. Il passera toute sa vie en Perse. C'est un surdoué qui à dix ans connaît déjà le Coran par cœur, pratique l'arabe littéraire, les lettres grecques et la philosophie.
Statue d'Avicenne.
Faculté de Médecine de Tashkent.

A seize ans, il achève ses études de droit et il s'intéresse à tous les domaines de la pensée et du savoir. Scientifique, il se passionne pour l'arithmétique, l'algèbre, la géométrie, les sciences de la nature et la médecine. Artiste il s'intéresse à la musique, la littérature et la poésie. Philosophe, il commente l'œuvre d'Aristote, qu'il connaît à travers un traité d'al-Farabi, et théologien respecté, il s'efforce d'intégrer les dogmes de l'Islam à la Métaphysique d'Aristote. Ecrivain de talent, orateur brillant, il participera activement à la vie politique des différentes cités de Perse où il séjournera à la demande des princes régnants.

A dix-huit ans Avicenne a achevé l'étude de la médecine. Il doit sa formation à un médecin chrétien, Issa Ibn Yahya. Il ne tarda pas à surpasser les savants de son époque. " Puis, dit-il, je m'adonnai à la médecine et je me mis à lire les ouvrages composés sur cette science ; comme la médecine n'est pas une des sciences difficiles, j'y montrai promptement ma supériorité, si bien que des médecins éminents l'étudièrent sous ma direction ; de plus, pratiquement, je donnai mes soins aux malades ; ainsi, les portes du traitement fondé sur l'expérience s'ouvrirent devant moi, d'une manière indescriptible ". La guérison du prince samanide de Boukhara, Nub Ibn Mansur, atteint d'une grave maladie qui n'hésitera pas à se confier à lui malgré son jeune âge, lui vaut la célébrité et la reconnaissance du Calife qui en fera son médecin et son premier Vizir à l'âge de vingt-deux ans. A cet âge, il a déjà écrit son premier livre de philosophie et il débute la traduction des œuvres d'Hippocrate et de Galien. Il fréquente la très riche bibliothèque du palais royal.  Peu après, il devient le Vizir d'Ali ibn Maimun, le souverain de Khiva.

Plusieurs fois ministre, très influent, il suscite de nombreuses jalousies et de multiples intrigues qui l'obligeront à errer de cité en cité, à fuir pour éviter l'enlèvement et même à s'évader, une fois emprisonné. Il doit se cacher à maintes reprises, vivant de ses consultations médicales, menant une vie mouvementée et itinérante à travers toute la Perse. En 1015, il soigne avec succès le Calife de Hamadan qui souffrait de coliques néphrétiques et qui reconnaissant le nomme médecin de sa cour et son Vizir. Il se consacre à la chose publique le jour, et travaille la nuit, à la composition du Shifa et du Canon médical. La tâche est si écrasante qu'il doit se faire aider de deux disciples qui relisent les feuillets de ses ouvrages, dont le fidèle Al-Juzani, son secrétaire et biographe. Les chefs militaires jaloux de son influence obtiennent son renvoi et son emprisonnement.  Cependant, le Calife, souffrant de nouveau, se résolut à le rappeler et à le réinstaller dans ses fonctions.

En 1021, à la mort du Calife, il est de nouveau emprisonné. Déguisé en derviche, il réussit à s'évader et se réfugie auprès de l'Emir d'Ispahan, où, après de nombreuses vicissitudes, il vivra la période la plus calme et, grâce à un travail acharné, la plus fructueuse de son existence. Il accompagne l'Emir d'Ispahan lors d'une expédition contre Hamadan, mais souffrant de longue date d'une affection gastrique, il tentera de se soigner lui-même, sans succès. " Ayant distribué ses biens aux pauvres, libéré ses esclaves, fait ses ablutions et écouté le Coran ", il meurt à cinquante-sept ans, un vendredi du mois de Ramadan de l'an 428 de l'Hégire, à Hamadan où se trouve toujours son tombeau.



Avicenne, le médecin

La médecine arabe est représentée à cette époque par de prestigieuses écoles de médecine qui vont faire le trait d'union entre les préceptes hippocratiques et le développement de la médecine en occident. A coté de l'école d'Ispahan, où s'illustra Avicenne, les principales écoles du Moyen-Orient seront représentées par celles de Bagdad, Shiraz, Damas, Kairouan et du Caire, avec en particulier Ibn an Nafis. Les écoles de Cordoue, de Tolède, de Séville et de Saragosse seront illustrées par des médecins tels les fameux Abulcassis, Avenzoar, Averroes.
Ibn an Nafis

Pour Avicenne, " la médecine est l'art de conserver la santé et éventuellement, de guérir la maladie survenue dans le corps " qui est la phrase d'introduction de Urdjuza Fi-Tib, Poème de Médecine de 1300 vers, traduit par Armengaud Blaise, médecin de Jacques II d'Aragon et du Pape Clément V. La prévention apparaît donc essentielle, lui faisant recommander la pratique régulière du sport et de l'hydrothérapie. Il insiste sur l'importance des relations humaines dans la conservation d'une bonne santé mentale et somatique.

Sa contribution à la Médecine fut considérable. Il décrit toutes les maladies répertoriées à l'époque. Il est le premier à distinguer la pleurésie, la médiastinite et l'abcès sous-phrénique,  à décrire correctement l'anatomie de l'œil humain, les différentes variétés d'ictères, les  deux formes de paralysies faciales, centrale et périphérique et la symptomatologie du diabète. Il expose le diagnostic différentiel entre la sténose du pylore et l'ulcère de l'estomac. Il donne des descriptions exactes de la cataracte, de la méningite, de l'apoplexie causée par l'hypertension. Il décrit l'affection liée à l'ankylostome, des maladies de peau, des affections vénériennes. Il expose avec précision le système des ventricules et des valves cardiaques, la circulation du cœur vers les poumons. Il pressent le rôle des rats dans la transmission de la peste, indique que certaines affections sont transmises par voie placentaire et émet l'hypothèse selon laquelle l'eau et l'atmosphère contiendraient de minuscules organismes, vecteurs de certaines maladies infectieuses, dont la tuberculose. En thérapeutique, il décrivit la préparation d'un certain nombre de remèdes, ainsi que l'utilisation de vessies de glace et les lavements rectaux. Toutes ces découvertes étaient le résultat d'observations cliniques et d'expérimentations auxquelles il accordait une très grande importance.

Le Canon de la Médecine

L'œuvre écrite d'Avicenne est d'une ampleur variable selon les sources, allant de 276, pour G.C. Anawati, à 242 publications, pour Yahia Mahdavi, dont 21 sont d'une grande importance, parmi lesquelles 16 consacrées à la médecine. Avicenne a écrit principalement dans la langue savante de son époque, l'arabe classique, mais parfois également dans sa langue vernaculaire, le persan. Le Kitab Al Qanûn fi Al-Tibb, le Canon de la Médecine, est l'œuvre médicale majeure d'Avicenne.

Il fut ramené en Europe par les Croisés à partir du XIIe siècle. Il s'agit davantage de connaissances encyclopédiques antérieures que de son expérience personnelle, même si son apport est considérable. Ses écrits apparaissent plus philosophiques que cliniques. Ainsi, l'amour y est classé parmi les maladies cérébrales au même titre que l'amnésie ou la mélancolie. Son succès considérable tient à la fois au souci de codification des doctrines médicales mais surtout à la volonté de concilier les doctrines d'Aristote et de Galien. 
Avicenne rédigeant le
Canon de la Médecine

Cette encyclopédie qui constitue une revue de synthèse claire et ordonnée de tout le savoir médical de son temps est composée de cinq livres :

  • Volume I : Description des principes et des théories de la médecine. Panorama de l'anatomie, de la physiologie et de la pathologie des organes.
  • Volume II : Classification des médicaments simples avec description des propriétés thérapeutiques de chacun.
  • Volume III : Description des maladies localisées du corps, de la tête aux pieds.
  • Volume IV : Description des symptômes des maladies en particulier des fièvres.
  • Volume V : Enumération de 760 médicaments composés.



Du XIIe au XVIIe siècle, le Canon de la Médecine sera reconnu comme la base de l'enseignement et de la pratique médicale en Europe jusqu'au début de la Renaissance. Entièrement traduit en latin par Gérard de Crémone entre 1150 et 1187, il est imprimé pour la première fois dans une version en hébreu à Milan en 1473, puis à Venise en 1527 et à Rome en 1593.

Avec la Renaissance apparaitront les premières contestations du Canon : Léonard de Vinci rejette l'anatomie selon Avicenne, Paracelse brûle le Canon à Bâle. C'est surtout à partir de la description de la circulation sanguine par William Harvey en 1628 que le Canon apparaitra dépassé. 
La circulation sanguine.

L'apport d'Avicenne

A cette époque de l'apogée de la culture arabo-musulmane, Avicenne est apparu comme le chef de file de ces médecins philosophes qui ont assuré la transmission du savoir de l'époque hellénistique, en particulier des écrits d'Aristote, des préceptes d'Hippocrate et de Galien, jusqu'à l'aube de la Renaissance. Outre sa compréhension personnelle des maladies  et son approche innovante des traitements, il a été le trait d'union entre l'antiquité grecque et les prémisses de la médecine moderne.

Penseur original, travailleur infatigable, sa vie alternant la gloire et les persécutions a été un véritable roman. Chef d'une école philosophique il a exercé une influence considérable dans l'Orient islamique comme dans l'Occident chrétien. Il consacra les dernières années de sa vie à la philosophie et sa pensée sur la distinction de l'essence de l'être et de l'existence sera l'une des bases de la pensée de Thomas d'Aquin et de la philosophie scholastique néo-aristotélicienne du Moyen-âge chrétien.
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