La mesure du temps

Rouages de l'horloge astronomique de Strasbourg.

La mesure du temps, c'est autant de jalons qui le matérialisent. Il est sans être, comme un intervalle entre deux évènements. Immuable, il n'est perceptible que par les changements des évènements qui le marquent. Le temps, à l'origine est considéré comme une fraction discontinue de la durée, par contraste avec la continuité vécue de la durée, nécessitant une mesure pour la quantifier.

Les évènements perçus comme heureux ou malheureux, gais ou tristes vont donner une couleur au temps, et suivant qu'ils sont craints ou attendus, ralentir ou accélérer son cours, par une perception purement subjective.

La perception du temps implique la conscience que l'on en a, mais la perte de conscience, le sommeil, l'Alzheimer ou même la mort ne font pas disparaître le temps qui continue pour d'autres. La vie continue.

Le temps passe. Comme le temps passe. Le temps n'en finit pas de passer. " Le temps, dont on dit qu'il passe, alors qu'il s'assoit et reste là à vous regarder passer " écrivait Jacques Prévert. De tous temps, l'homme s'est essayé à la mesure du temps. 
Même pour les plus primitifs, il existe des points de repères simples : le jour, la nuit, le retour des saisons. Dès la création, au premier chapitre de la Genèse, il est dit : " il y eut un matin, il y eut un soir, ce fut le premier jour ". Le temps a un rythme naturel, conséquence de la structure de l'univers : rotation de la terre sur elle-même, inclinaison de son axe par rapport au soleil déterminant les saisons, interposition de la terre entre le soleil et la lune, responsable des cycles lunaires …

Cette répétition constante des phénomènes cosmiques, à portée de chacun, ou plus sophistiquée par l'observation des étoiles, a permis très vite l'élaboration de calendriers. Les variations de lever et de coucher du soleil, l'atteinte de son zénith, puis le mouvement des constellations ont permis un découpage du temps. Ces mêmes mouvements servirent aux voyageurs et aux marins pour se situer sur la planète, intrication parmi d'autres du temps et de l'espace.
Cette rythmicité du temps a son influence sur les êtres. Chacun a pu éprouver sur lui-même l'influence des saisons sur son comportement, sa psychologie, son moral  tel l'allongement des nuits d'hiver ou le retour du printemps. Chez l'animal, mais sans doute aussi chez l'homme, revient la saison des amours. Le voyage des anguilles vers la mer des Sargasses, les migrations des oiseaux, la ponte des tortues de mer ont leur calendrier.

Il existe une horloge biologique à l'origine notamment du rythme circadien. Ce rythme naturel fait varier les sécrétions hormonales, telle que la sécrétion du cortisol, en fonction du temps au cours de la journée  mais également de l'activité. La perturbation du rythme circadien est l'une des causes du malaise engendré par le décalage horaire,  par le travail posté. Le rythme circadien disparaît chez le malade de réanimation. Il est donc important que ces patients aient accès à la lumière du jour pour se raccrocher au cycle nycthéméral. Il est recommandé de mettre une horloge dans leur chambre pour leur permettre de se resituer dans le temps, souvent après une période où ils ont été totalement déconnectés. L'horloge interne, comme toutes les horloges, peut donc se dérégler, avec la possibilité physiologique de se remettre à l'heure spontanément.

Le calendrier est le plus souvent le fruit d'une civilisation comme le calendrier chinois, d'une religion qui fait partir celui-ci au début supposé de son ère, à la date supposée de la création du monde pour les juifs, avant ou après la naissance de Jésus Christ pour les chrétiens, après la naissance de Mahomet pour les hégires des musulmans. Il s'ensuit une grande variabilité dans le décompte des années et dans  la survenue du nouvel an entre les différents calendriers, surtout lorsqu'ils se basent sur des mois lunaires comme le calendrier musulman. En Ethiopie qui en est restée au calendrier Julien, nous sommes donc fin 1995, et l'on fêtera le nouvel an le 11 septembre.
Calendrier zodiacal
Photographie : Philippe Scherpereel
Au calendrier Grégorien, vient se surexposer un calendrier zodiacal, ou comme chez les Chinois d'un cycle des années (du chien, du cochon, du dragon…), calendriers chargés de signification ésotérique permettant de déterminer la personnalité en fonction de la date de la naissance et de prédire l'avenir professionnel ou amoureux en fonction de la conjonction ou de l'opposition des astres.

L'astrologie dispose donc d'une place éminente, à côté des tarots, boule de cristal et autres accessoires divinatoires, pour accréditer une vision déterministe de l'existence.

La Révolution française qui se voulait aller très loin dans la remise en cause de l'ordre du monde, s'inventa un nouveau calendrier, qui n'eut cours que quelques années. On peut le regretter car la dénomination des mois révolutionnaires, Brumaire, Thermidor, Fructidor, Vendémiaire…, avait quelque chose de poétique, comme toutes les utopies. Celle-ci n'abandonnait pas la référence à l'" Etre Suprême ".
Les unités de temps reflètent à la fois la complexité du système et cet aspect cosmogonique, dont il a du mal à se départir. La mesure du temps, la chronométrie, à la mission difficile de matérialiser un phénomène en fuite perpétuelle. Deux systèmes d'unité de mesure s'associent, l'un concerne le temps préhensible, basé sur un système d'unités marqué par la cosmogonie, avec le recours à l'un des chiffres parfaits, le 12. Cette fourchette du temps préhensible va de la seconde à l'année. Soixante secondes dans une minute, soixante minutes dans une heure, douze heures de tour d'horloge, 24 heures de la journée et les douze mois de l'année. L'influence de l'astronomie babylonienne, relayée par l'astronomie grecque, est à l'origine de la division de la nuit en 12 heures et par analogie de la journée en 12 heures. La variation de la durée des jours et des nuits, au fil des saisons, est à l'origine de la coexistence d'heures " inégales " ou " saisonnières " et d'heures " égales " telles que mesurées par une horloge. Les deux systèmes de comptage ont perduré jusqu'à une période relativement récente. Nous devons également aux babyloniens l'utilisation du système sexagésimal pour compter les minutes et les secondes leur permettant d'effectuer des calculs les plus complexes. Les conquêtes d'Alexandre permirent  à ces connaissances de se propager  vers les civilisations méditerranéennes et en occident. L'origine du calcul vient des Indes et repose sur trois caractéristiques fondamentales que sont les caractères uniques, le système décimal et l'écriture positionnelle permettant par la juxtaposition des chiffres de constituer des nombres. Le zéro est alors apparu nécessaire pour constituer les dizaines, les centaines, les milliers… La géométrie est également originaire des Indes avec un point de départ religieux, les autels, les tantras et plus particulièrement le Sriyantra permettant la méditation à partir du centre du triangle. Aux sources de cette méditation, la création de l'ordre à partir du chaos et l'évolution du monde de la simplicité initiale vers une complexité croissante. Certains ont vu dans la courbure des côtés de certains de ces triangles une prémonition des géométries non euclidiennes et de la Relativité.

La mesure des temps extrêmes, vers l'infiniment grand ou l'infiniment petit, accessible au seul raisonnement, fait appel au système décimal : dixièmes, millièmes, millionièmes de secondes, nanosecondes, femtosecondes d'un côté, décades, siècles,  millénaires, millions et milliards d'années de l'autre. Il est d'ailleurs étonnant que les Anglais n'aient pas inventé, comme pour le reste, leurs propres unités de mesure, mais ils ont toutefois imposé que la mesure du temps d'une journée débute au méridien de Greenwich, le temps GMT demeurant longtemps la référence universelle, avant d'être remplacé par l'heure atomique, entraînant la fermeture de l'Observatoire royal de Greenwich en 1998.

La matérialisation du temps va se faire, au début, à travers une symbolique des instruments de mesure. L'écoulement de l'eau de la clepsydre matérialise et mesure celui du temps, de la vie, ce " long fleuve tranquille ". Le sable file de part et d'autre du sablier, comme il le fait entre les doigts, comme le temps que l'on ne peut retenir. Le balancier, comme le métronome, rythme les secondes qui s'enchaînent sur les crans de la roue dentée du mécanisme d'horlogerie. Le poids ajoute sa symbolique : le poids des ans.
Clepshydre
Bougie
Jusqu'à l'apparition du mouvement d'horlogerie, la mesure du temps n'était pas soumise au mouvement continu de rouages, mais s'évaluait en fonction du temps nécessaire à une bougie, à un bâton d'encens pour se consumer, puis selon l'écoulement de l'eau, la clepsydre, ou du sable, le sablier. Ils n'indiquaient pas une heure précise mais évaluaient une durée. A une certaine quantité d'eau ou de sable écoulée, correspondait, par analogie, une certaine durée de temps. Ces instruments reliés à la nature, comme sont aussi les cadrans solaires, " disent un temps ailé, léger, malléable, uni à l'amour et à la poésie, promesse d'éternité ". Pour Tiphaine Samoyault, " le cadran solaire… c'est le temps de la vie " " Seuls l'amour, la poésie permettent de fuir le temps de la mort " A l'inverse, les mécanismes d'horlogerie, à l'instar des chronos sont " la bouche du temps avec pour dents, les rouages qui déchirent, détruisent et dévorent ". L'image du temps porte en filigrane celle de la mort. Chaque seconde qui passe nous en rapproche un peu plus. Pour échapper à l'horloge, à la montre, à l'obsession de la mort, il faut casser la montre, puisque l'on ne parvient pas à s'en débarrasser. La constatation de Tiphaine Samoyault " les objets qui marquent les heures sont rarement jetés " m'est apparue soudain comme une évidence aveuglante. Depuis toujours, je garde au fond d'un tiroir, des montres auxquelles je tiens affectivement, montre de mon père, cadeaux, mais aussi montres de pacotille que je n'ai même jamais eu l'idée de jeter.
La montre, en Français, est un objet actif qui indique le temps, alors qu'en anglais, watch, est un objet passif, qui est regardé. Faut-il voir dans cette polysémie une attitude différente vis à vis du temps ? Le temps lui-même ne recouvre t-il pas des temporalités contradictoires : chronologie de la vie, conscience intime de la durée, histoire du monde ? Par son tic-tac la montre, l'horloge, reproduit les bruits du cœur. La chair du temps.

La petite aiguille, qui compte les secondes, porte le nom imagé de " trotteuse ", avec l'espoir que si elle se mettait à galoper, elle serait mise hors course par les commissaires. La mesure du temps, qu'elle soit le fait d'un chronomètre ou d'une horloge, correspond à une matérialisation dans l'espace. La représentation du temps est une représentation spatiale, une traduction en signes conventionnels. C'est le déplacement des aiguilles autour de leur axe, passant d'une graduation à l'autre, d'un nombre au suivant. Le mécanisme d'horlogerie a ses règles et se déplace uniquement dans le sens des aiguilles d'une montre. La perception primitive du temps fut d'abord cyclique, fondée sur l'alternance des jours et des nuits, du retour des saisons, avant que la réflexion historique et religieuse ne transforme le temps en vecteur et lui confère le caractère linéaire du sens de l'histoire. L'horloge offre deux représentations contradictoires du temps : la flèche des aiguilles, témoin du sens unique du temps et leur rotation, symbole de l'éternel retour. Mais la montre a sa signification propre et suscite de  nombreuses fascinations aussi bien chez les écrivains, les cinéastes et les artistes. " Il avait toujours eu un goût pour ces mécanismes d'un sou et d'un jour, délicats et absurdes, où le hasard d'un instant fait refleurir la nécessité " écrivait Julien Gracq dans " Un balcon dans la forêt ". Paradoxe de la mesure du temps, Lewis Carroll, dans " Alice au Pays des Merveilles " constate : " J'ai deux horloges, l'une est totalement arrêtée, l'autre retarde d'une minute par jour. Laquelle préférez vous ? Celle qui retarde ? Regardez bien : elle doit attendre de retarder de douze heures avant d'être de nouveau à l'heure juste. Par conséquent, elle n'est à l'heure que deux fois par an, tandis que l'autre, qui ne marche pas, donne l'heure exacte deux fois par jour. " 
Certaines horloges comme celle de Prague, ajoutent à la sonnerie de l'heure, le défilé des apôtres ou comme à Strasbourg l'apparition de la mort. Les horloges astronomiques, comme celle de la cathédrale de Beauvais poussent le raffinement jusqu'à livrer un calendrier des marées au Mont Saint Michel. La profusion des personnages de la Bible et de l'évangile fait de l'horloge un instrument pédagogique incomparable, justifiant sa place à l'intérieur de la cathédrale. Il faut apprendre aux fidèles que Dieu est le maître du temps. Il est le présent perpétuel : " je suis celui qui suis " Au caractère fini du destin de l'homme, s'oppose l'éternité de Dieu. Lire l'heure. Livre d'Heures.

La recherche de la précision et de la fiabilité va caractériser la quête des hommes au fil des siècles. Le cadran solaire même le plus sophistiqué reste approximatif et ne peut plus renseigner dès que passe un nuage. Il en est cependant de merveilleux et d'extraordinaires, comme celui de Jaipur, dont l'imposante esplanade prend des allures totalement surréalistes. L'architecture de l'observatoire de Jaipur est en pierre ce qu'un tableau de Chirico, comme l'" Enigme de l'Heure ", est en peinture sur la toile. Peinture et architecture métaphysique. Une variante imprégnée de religiosité se retrouve dans la conception architecturale des temples mayas ou des temples égyptiens, permettant au Dieu Soleil d'illuminer à certains moments du jour et de l'année la statue de l'idole ou du pharaon. 
Cathédrale de Beauvais
Stonehenge
La plupart des monuments préhistoriques étaient orientés vers le lever ou le coucher du soleil au moment du solstice d'hiver ou d'été conduisant à des interprétations astronomiques souvent aléatoires. Les mégalithes de Stonehenge sont alignés en direction du solstice d'été, mais il semble que l'observation à partir de la Heel Stone se faisait principalement au coucher du soleil, au moment du solstice d'hiver.

Ainsi s'entretenait, grâce à de savants calculs, le flirt poussé du temps, du cosmos et de la divinité.

La mesure du temps peut être d'une extrême simplicité à la manière des prisonniers dans leur geôle, ou de Robinson Crusoë sur son île, marquant de bâtonnets la séquence des jours. Elle peut être beaucoup plus sophistiquée.
L'imagination du savant et de l'artisan a permis la création d'une multitude d'instruments de mesure du temps, tous plus ingénieux les uns que les autres. Souvent s'associait le génie de l'artiste pour faire de ces instruments de beaux objets, emprunts de symbolique. La beauté est aussi affaire de point de vue et Louis XIV n'était sans doute pas plus fier du cartel doré de Versailles que le paysan de son horloge bretonne ou la ménagère de son carillon de Westminster. A la beauté des formes s'ajoutait la beauté des sons. Je laisserai délibérément de côté la mélodie du carillon de Westminster, qui enchanta de nombreux foyers, pour évoquer celui des cloches et des carillons. Dans un pays de beffrois, qui est le mien, le carillon joyeux anime la place publique, tandis que les cloches marquent aussi les grands moments de la vie. Elles accompagnaient les moments heureux, comme le tocsin annonçait les grandes catastrophes. Le vacarme des villes les a fait taire ou les recouvre. Seules quelques cloches mythiques doivent encore à  leur histoire de survivre, comme Big Ben, que les touristes s'arrêtent pour écouter. D'autres encore conservent leur puissance d'émotion, comme le bourdon de Saint Jacques de Compostelle dans les petites ruelles, suintant d'humidité, qui entourent la cathédrale.

Ses notes profondes et nostalgiques, ébranlent le cœur au fond de la poitrine, et le temps apparaît en majesté, dans ce lieu où de sombres pierres moussues abritent une spiritualité intemporelle. Finistère, terme d'un long pèlerinage, le temps se devait d'y laisser son empreinte profonde.

Le développement de la science, des techniques a rendu nécessaire une mesure du temps de plus en plus fine, pour des durées de plus en plus brèves. L'histoire de la mesure du temps est jalonnée par l'apparition des horloges mécaniques au XIIIe siècle, le cadran et les aiguilles vers le XVe siècle. Les premières montres apparaissent au XVIe, la première horloge électrique au XIXe et celle à quartz au XXe siècle. Les montres à quartz ont totalement supplanté les mécanismes d'horlogerie qui firent la réputation d'artisans et d'un pays comme la Suisse. Je manque des connaissances nécessaires pour expliquer la précision constante des vibrations des atomes dans une structure de quartz, que je m'imagine plus volontiers selon un tour poétique, d'un battement de cœur de cristal. Il fallait une référence à la valeur temps. Faute de pouvoir déposer une seconde étalon au pavillon de Breteuil à Sèvres, c'est l'horloge atomique qui a apporté, en juin 1955, la précision et la constance recherchée. La seconde est désormais calée sur les vibrations, dans des conditions très strictes et définies, d'un atome de césium. " La seconde est la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondante à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l'état fondamental de l'atome de césium 133, au repos, à une température de 0°K ". Cette définition a un côté surréaliste. La synchronisation des horloges, qui avait posé tant de problèmes à Einstein et à Poincaré au début de leur carrière, est maintenant réglé par les réseaux satellitaires, type GPS (américain), Glonass (russe) et bientôt Galileo (européen). L'heure est actuellement définie par deux échelles, le temps atomique international (TAI), fourni par 260 horloges atomiques réparties dans le monde, et le temps universel coordonné (UTC), tous deux centralisés au Bureau international des poids et mesures (BIMP) installé à Paris.  Le temps est désormais une valeur mesurable avec une très grande précision, mais a t-on véritablement progressé dans la connaissance de ce qu'il est vraiment ? Si l'on établit une comparaison avec la matière, pendant longtemps celle-ci est apparue comme une réalité préhensible par la vue, par le tact, symbole de réalité. Lorsque l'on voulait opposer la référence au réel par rapport à celle aux idées, on utilisait le terme matérialisme, mais comme l'a écrit Gaston Bachelard : " Le matérialisme procède d'une abstraction initiale qui paraît devoir mutiler à jamais la notion de matière…… Ce serait une grave erreur philosophique de croire au caractère vraiment concret du matérialisme. " La descente vers l'infiniment petit, au niveau des particules élémentaires de la matière, transforme la matière en énergie et le constat d'un état physique solide, liquide ou gazeux, en distance et mouvements entre les particules élémentaires.

Peut-on imaginer semblable transmutation pour le temps à mesure que l'on approche de l'infiniment petit ou de l'infiniment grand ? Depuis Einstein, le temps et l'espace ne sont plus des absolus, mais ils sont inséparables, et depuis la théorie des quanta, l'énergie semble délivrée, non plus de façon continue, mais par paquets, supposant entre ces quanta des périodes infinitésimales de non-matière si l'on assimile désormais matière à énergie. A l'échelon cosmique, ces théories peuvent aider à expliquer certains phénomènes de l'univers tels que les " trous noirs ". On explique en effet facilement que des étoiles mortes brillent encore au firmament, parce qu'étant situées à des millions d'années lumières, elles peuvent encore être visibles de la terre alors qu'elles ont disparu depuis longtemps. La démonstration de la vitesse de la lumière est très simple à faire. Dès ma plus tendre enfance, pour dominer ma peur je me suis exercé à calculer le lieu de la chute de la foudre, en comptant les secondes séparant l'éclair, voyageant à 300 000 km par seconde, du tonnerre, se déplaçant à la vitesse du son soit 360 m par seconde. Comme chacun sait, il suffit de multiplier 360 par le nombre de secondes pour connaître la distance de l'impact et suivre le rapprochement ou l'éloignement de la foudre. Cela suppose donc que sur une courte distance, le temps mis par la lumière de l'éclair pour franchir la distance est considéré comme nul, ce qui est théoriquement faux. Pratiquement, compte tenu du temps d'intégration du message sensoriel, on peut considérer comme simultanées la production et la perception du phénomène lumineux. Cet exemple simple illustre parfaitement la dissociation de la perception d'un phénomène dans le temps et la relativité par rapport au temps dans laquelle nous visons le présent. Suivant que l'on est sourd ou aveugle, on dirait maintenant - mal entendant ou mal voyant - on a une perception différente de l'orage.

Les progrès les plus significatifs dans la mesure du temps sont venus de la nécessité d'une heure synchronisée, rendue indispensable notamment par les mouvements des trains. Deux noms éminents de la science moderne sont attachés à ce problème apparemment trivial que Peter Galison réunit dans son livre "  L'empire du temps " : les horloges d'Einstein et les cartes de Poincaré. Au Bureau français des longitudes, où il travaillait, Poincaré eu pour mission de synchroniser les horloges en différents points de la planète afin d'obtenir les cartes les plus précises possibles. Un échange de signaux électriques par télégraphe constituait la base d'une définition conventionnelle de la simultanéité. Quand la Suisse inaugura son chemin de fer, son télégraphe et son réseau d'horloges,  un certain Albert Einstein travaillait comme expert au Bureau des Brevets de Berne. Avec des objectifs différents et des approches très éloignées pour aborder le temps synchronisé, Poincaré et Einstein allaient se retrouver confrontés, au delà des défis technologiques, à la jonction du temps physique, métaphysique et philosophique. En 1905, la réflexion d'Einstein et sa publication " Sur l'électrodynamique des corps en mouvements " débouchaient sur la relativité restreinte et la négation du temps absolu. " Les temps " se substituent " au temps ". Dans " L'expérience humaine et la causalité physique ", Brunschwicg écrivait : "  La notion de temps absolu, ou plus exactement la notion de la mesure unique du temps, c'est-à-dire une simultanéité indépendante du système de référence, ne doit son apparence de simplicité et d'immédiate réalité qu'à un défaut d'analyse. "

La science moderne apporte t-elle une contribution significative à la connaissance du temps ? On serait tenté de répondre par l'affirmative, si à toutes les époques, les savants n'avaient pas considéré leur vision comme la bonne, et que nous n'ayons conscience de tout ce que nous ignorons encore. La physique n'a pas résolu l'énigme du temps. " Que connaît un poisson de l'eau dans laquelle il nage ? " écrivait Albert Einstein.

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