Toutankhamon


Lors de ma première visite au musée du Caire, dans les années 70, la présentation des objets de la tombe de Toutankhamon tenait plus du souk que d'un respectable musée. On était sans doute plus proche du désordre rituel dans lequel Howard Carter les découvrit le 24 novembre 1922, à l'ouverture du tombeau, que ne l'est la présentation sophistiquée qui est celle d'aujourd'hui. Les sarcophages resplendissent maintenant de tous leurs ors sous les projecteurs dans une salle plongée dans la pénombre, éclairée de hautes fenêtres munies d'épais barreaux. 

La magie du visage hiératique du pharaon captive le regard dans sa vitrine au centre de la pièce. Cela ressemble davantage à une vitrine de Cartier qu'au bric à brac sympathique d'autrefois. Passée la nostalgie, la beauté des masques laisse les sensations intactes. Les yeux aux pupilles d'obsidienne, figés dans un regard d'éternité, rappellent le titre d'un film célèbre : " Eyes wide shut ". L'expression du visage est impressionnante. Plus que la mort il évoque une résurrection. Les traits palpitent d'une vie qui est celle de l'au-delà, de ce royaume des morts dont les hommes ont eu le sacrilège de l'arracher. Je ne sais quelle est la part de vérité de la malédiction de pharaon, mais à contempler le visage du sarcophage elle apparaît justifiée. Dans toutes les tombes de la vallée des rois, des reines et des nobles à Louxor j'aurai ce sentiment de violer et de profaner des lieux interdits aux vivants. Nulle part ailleurs j'ai ressenti ces liens subtils avec l'au-delà.

Le masque de Toutankhamon n'est que l'épicentre des merveilles qui l'entouraient dans la tombe, sa " demeure d'éternité ". Le sarcophage intérieur, en or massif, évoque la personnalité de ce jeune roi,  beau et rêveur, dont le regard est encore plus saisissant par sa sérénité que celui du masque. La poitrine du monarque, recouverte des deux déesses ailées protectrices, prolonge la sérénité du visage par l'attitude des mains croisées portant les symboles de la royauté, le sceptre et le fléau. Des centaines d'objets amoncelés dans le tombeau, certains sont d'une étrange et saisissante beauté. 
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Masque de Toutankhamon.
Musée égyptien du Caire.
Anubis. Tombe de Toutankhamon.
Musée égyptien du Caire.

La statue du dieu chacal noir Anubis est d'une beauté, d'une finesse et d'une noblesse touchant à la perfection. Le dessin des côtes, la courbe des flancs, le port de tête, la finesse du museau et des oreilles, la posture des pattes magnifient ce gardien hiératique du tombeau. La statue de bois doré de la déesse Sekhmet à la tête de lionne surmontée du disque solaire apparaît surréaliste à force de symboles. Un coffre magnifique à décor peint, où l'on voit le pharaon lancé sur son char suivi  de son armée semant la panique parmi ses ennemis, préfigure les scènes de bataille d'Uccello. Le moindre mobilier, le plus humble des instruments sont d'une beauté poignante.

La visite du musée du Caire s'impose comme un préliminaire indispensable à la visite de l'Egypte. Le British Muséum ou Le Louvre n'ont pas la même puissance évocatrice de l'Egypte ancienne  que le musée du Caire et le voyage sur les rives du Nil est un périple initiatique. L'antiquité égyptienne nous est familière. Visiter l'Egypte, la Grèce ou Rome, marque un retour aux sources. On y retrouve nos racines d'Européens. Tout différent est le sentiment éprouvé en Amérique en visitant les temples Aztèques ou les pyramides de Teotihuacan dont la signification demeure hermétique aux non initiés. Cela n'enlève en rien à la beauté impressionnante de ces sites mais la résonance intime est différente car nous n'avons pas en nous la marque de cette culture.

Les pyramides de Gizeh font certes partie de notre patrimoine culturel mais de nos jours, les HLM de la banlieue du Caire viennent assiéger les rampes du plateau. La foule grégaire des visiteurs retire beaucoup de la magie du site sans même parler des textes grandiloquents et des éclairages hollywoodiens du son et lumière. C'est la raison pour laquelle je préfère le site de Saqqarah. La pyramide à degrés est certes moins massive mais tout aussi impressionnante par son environnement. Les fouilles qui y sont menées avec intelligence révèlent par lambeaux les mystères du site. On est déjà plus loin de l'agitation du Caire, facilitant la méditation. A la magie des objets, les antiquités Egyptiennes ajoutent celle de la beauté.

Le visage de Néfertiti est l'incarnation même de la beauté. Elle traverse les âges comme une déesse que voulait sans doute évoquer l'artiste qui l'a représentée. Alors que les cannons de la beauté de la femme ont changé au fil des siècles, sa beauté est intemporelle. La noblesse du port de tête, la finesse des traits, l'élancement et la gracilité du cou idéalisent probablement la réalité pour en faire un rêve de perfection.

On retrouve cette même perfection dans le visage des quatre déesses qui protégeaient les panneaux du coffre-chapelle où l'on a retrouvé les vases canopes de la tombe de Toutankhamon. Le trait noir des sourcils et du fard des yeux sur l'or du visage confère à ce visage une expression de totale sérénité marque de l'au-delà. L'or omniprésent est la matière transcendantale, incarnation de la pureté et de la beauté. Pourquoi l'or a-t-il de tout temps fasciné les hommes ? Son éclat, les objets qui en sont faits ont d'abord été synonymes de beauté avant que de richesse. L'or et l'argent reflètent la lumière. Enfouis dans l'obscurité des tombeaux, ils attendent la lumière pour revivre. Comme le diamant leur beauté est l'incarnation de la lumière. A l'inverse, la beauté de la lumière est tributaire des corps qu'elle illumine, traverse ou reflète, qu'il s'agisse de l'or, de l'argent, des pierres précieuses ou de la chair qu'elle caresse. Réciproquement, la beauté des corps dépend de la lumière qui les éclaire. Les trois âges de la lumière sont le " Fiat lux " de l'aube au couchant du premier jour de la Genèse, la lumière du feu et la découverte de l'électricité. La peinture se satisfait des deux premières, qu'il s'agisse des tableaux peints à la lumière du jour, comme Seurat ou Cézanne, ou même la nuit, à la clarté de la lune et des étoiles, comme Van Gogh, à la lumière de la flamme des bougies, comme La Tour ou Chardin. 
Néfertiti. Neues Museum Berlin.
Photographie : Arkadiy Etumyan.

A l'inverse la lumière électrique tue le mystère : " A la lumière électrique, la chair n'est plus que matière… " écrit Marc Fumaroli, qui voue aux gémonies l'éclairage artificiel des musées. Quand pourra t'on décrocher un tableau et l'amener à la lumière du jour comme on le fait d'un costume dans une boutique de vêtements ?  
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