Chah I Zinda


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" La mort et la beauté sont deux choses profondes
Qui contiennent tant d'ombre et d'azur qu'on dirait
Deux sœurs également terribles et fécondes
Ayant la même énigme et le même secret. "

Victor Hugo



De l'esplanade qui sépare l'entrée de la nécropole Chah I Zinda de la route, seule apparaît la porte monumentale et la muraille ocre pâle d'où émergent les coupoles des mausolées. La plus grande, proche de la porte, détache le galbe de son sein turquoise sur le bleu d'un ciel sans nuage. 
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Samarkand abonde de ces coupoles, certaines plus grandes et majestueuses comme celle du mausolée de l'Emir Timour, Tamerlan, magnifiant la gloire du conquérant des steppes d'Asie centrale. L'empire de Tamerlan s'étendait alors du Bosphore aux frontières de l'Inde et de la Chine. Sous la coupole, les pierres tombales, dont celles de ses enfants et de son précepteur, sont d'une extrême simplicité contrastant avec la magnificence de l'édifice. 

Passé le portail d'entrée de la nécropole, un escalier de pierre se dresse abrupt, dont la tradition veut que si l'on a bien compté les marches on aille au paradis d'Allah. Au sommet, un second portail marque le départ d'une longue allée sinueuse bordée des façades de mosaïque bleue de ces maisons de cette ville des morts. L'ombre crue des mausolées pose sa marque sur le pavement de pierres contrastant avec la lumière jouant avec toutes les teintes de bleu des mosaïques sous le soleil. Une succession de portails majestueux percés de petites portes de bois s'alignent tout au long de la ruelle. Des femmes Ouzbeks aux robes bigarrées se déplacent nonchalamment entre ombre et soleil. Allant d'un mausolée à l'autre, le contraste reste le même entre l'éblouissante splendeur des façades et la simplicité des tombeaux dans l'ombre des intérieurs d'un grand dénuement, comme si passant de la lumière de la vie aux ténèbres de la mort l'homme se détachait de tous ses oripeaux. Sur le linteau de l'une de ces portes, une inscription : "Les portes du paradis sont ouvertes à tous ceux qui aiment".

Les noms des personnages enterrés composent une litanie au long de la ruelle des morts : mausolée Hadja Ahmed, descendant d'un khalife soufi, mystique, ayant restauré la théocratie, mausolée de Burunduk, ministre de Tamerlan, mausolée de sa seconde femme, préceptrice d'Ouloug Bey, mausolée de Shirin Beka Oko, sœur de Tamerlan et de Shadi Mulk Oko , sa nièce…. Sur sa tombe cette phrase : "  Les gens de ce monde sont joyeux comme les oiseaux avant d'être mis en cage ". Mausolée octogonal aux vingt cinq pierres tombales. Petite mosquée aux allures intimistes à l'extrémité de la ruelle bordée tout au long de mausolées déclinant sur fond de briques ocre clair toutes les nuances de bleu de  leurs mosaïques. Dans ce quatorzième siècle, entre Amou-Daria et Syr-daria, l'amour et l'amitié de ce monarque coupeur de têtes, incendiaire de villes et bâtisseur de merveilles, offrait aux êtres chers, comme un joyau, leur ultime demeure. A coté de l'ordonnancement majestueux du Rejisthan, la simplicité de ruelle de Chah I Zinda rassure. Les morts y trouvent pour quelque temps encore la quiétude que le déferlement de hordes de touristes ne devrait pas tarder à troubler. La sauvagerie des restaurations, comme l'apparition d'un climatiseur sur le pignon de la petite mosquée, est sans doute le signe avant coureur d'une exploitation de ces lieux qui y perdront leur mystère et leur charme. A l'extrémité de la ruelle, on débouche sur le cimetière moderne fait de tombes portant en grandes dimensions la photographie gravée dans un marbre noir des morts d'aujourd'hui, contrastant avec l'anonymat des personnages historiques enterrés dans les mausolées de la nécropole.

Boukhara a conservé jusqu'à présent une grande part d'authenticité que Khiva a perdu en échange d'une restauration excessive. 
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Dans ce cadre aseptisé, les reconstitutions de geôles, avec des prisonniers échappés du Musée Grévin, sont moins évocateurs et convainquant que les vielles estampes de l'époque où l'on crevait les yeux des aventuriers russes et anglais qui tentaient d'étendre l'influence de leurs empires en Asie centrale. Mélange de douceur et de cruauté, d'art de vivre, de culture et de barbarie. 

Pays d'astronomes, de mathématiciens ou de médecins, comme Avicenne, mais aussi de tyrans sanguinaires. Places d'une somptueuse beauté servant de décors aux exécutions sanglantes. Histoires d'amour comme celle la grandiose mosquée de Bibi Khanoun s'achevant avec la mort cruelle de son génial architecte. 
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On en oublierait les pendus de la Place de Grève, les gibets de Montfaucon, les bûchers des templiers, l'exécution de Cinq Mars Place des Vosges ou l'échafaud de la Révolution pas si éloigné de nous. A regarder les merveilles du monde comme les pyramides on en vient à oublier les milliers d'ouvriers morts sous le fouet pour les construire. On mourrait de faim dans les campagnes quand Louis XIV construisait Versailles. Le patrimoine culturel de l'humanité n'est pas fait que de génie mais aussi de sang et de larmes. L'admirable douceur des camaïeux de bleus des coupoles et des façades de Samarkand font oublier les morts de Chah I Zinda et la cruauté des tyrans qui les ont fait construire. 

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