Angkor


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Angkor a-t-il sa place dans cette anthologie du beau ? L'adjectif beau convient il ? Ne faut il pas plutôt parler de sublime ? Qu'est ce que le sublime ? Ethymologiquement, sub limen peut signifier sous le linteau, par extension, élevé, suspendu dans les airs. Proche de subliminaire, cette parenté rendrait mieux compte d'une réalité dissimulée sous une apparence. Ce site placé au rang de merveille du monde, surprends à la fois par ses dimensions, son apparence et son mystère.

C'est en cela qu'il est beau cachant son mystère sous l'apparence. Les ruines évoquent moins la splendeur passée des monuments qu'un certain miroir de notre propre existence. Il est en effet très difficile de s'imaginer à leur vue ce que furent ces lieux. Les quelques traces de peinture sur certains bas-reliefs sont incapables de restituer ce qu'étaient probablement ces édifices recouverts d'or et de couleurs. Il faut beaucoup d'imagination pour se figurer à la place du vert de gris de ces pierres moussues le rutilement de l'or, comme pour retrouver l'éclat de la chair d'une momie égyptienne. Pourtant, ces pierres patinées par les pluies tropicales, envahies puis arrachées à la végétation, sont sans doute plus émouvantes que ne seraient ces temples dans leur magnificence première. Elles portent comme un visage les cicatrices de l'existence. Elles ont côtoyé la mort.
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Le Bayon

Reprises à la forêt, ces ruines portent les stigmates d'une histoire dont les plus récents sont des impacts de balles de Khmers rouges s'entraînant au tir sur les statues. Pour aussi nécessaires qu'elles soient, les restaurations actuelles ne peuvent ni ne doivent relever toutes les pierres, d'autant que beaucoup des plus belles sont parties au loin, victimes des prédateurs institutionnels ou des pilleurs de ruines. Des amoncellements de pierres, les étreintes de la végétation, sont souvent plus émouvantes que des reconstitutions parfois sauvages. 
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Ta Prohm. Etreinte végétale.

Cet attrait de l'envahissement des ruines par les énormes racines de fromagers, ou parfois plus grêles de ficus, n'a pas échappé aux promoteurs du site, l'emplacement étant marqué par la présence d'une petite estrade de bois permettant aux touristes de se faire photographier et de ramener ces clichés immanquables et mémorables. On peut craindre que ces édifices qui ont résisté aux guerres, aux pluies, à la forêt, ne résistent pas aux hordes de touristes, dûment badgés, déferlant en rangs serrés, appareil de photo au poing. La magie de ces lieux ne survivra t'elle peut être qu'au lever et au coucher du soleil, aux nuits de pleine lune, à moins que les tours opérateurs ne les incluent aussi dans leur programme.

La rigueur géométrique des plans, le classicisme des formes, plaideraient en faveur d'une beauté conforme à des canons esthétiques.  Cette constante des formes que l'on retrouve dans les temples grecs, égyptiens ou dans les sites mayas, est davantage un tribut payé à l'universalisme de la géométrie qu'à celui de la beauté. Certes l'esprit humain se complait, depuis la plus haute antiquité jusque dans l'architecture moderne, dans cette pureté de la géométrie des formes. Est-ce pour autant le seul critère de beauté ? Il est probable que réduite à cette géométrie la beauté nous lasserait. A Angkor, comme ailleurs, la symétrie, l'harmonie des espaces et des volumes, ne sont qu'un élément de soutènement, un cadre permettant à la beauté de s'exprimer. Angkor c'est avant tout une atmosphère, un lieu magique où parlent les pierres, où les statues affichent leur sourire énigmatique. Le sourire de certaines déesses n'est pas sans évoquer le sourire de l'ange du portail de Reims.  
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Pilier à quatre têtes

Les religions, les princes, ont utilisé l'art pour l'édification du peuple. Les bas reliefs déroulent à la manière d'une bande dessinée, l'histoire des divinités et les exploits guerriers des princes. Cela permet aux guides d'étaler leur érudition mais qu'importe. A ce compte là de bonnes reproductions suffiraient. L'explication des symboles permet d'ignorer la beauté. La beauté d'Angkor tient à son mystère, aux sensations éprouvées dans ces lieux surréalistes de pierres parlantes, d'arbres lithophages. Devant ces allées bien entretenues, on se prend à rêver à la découverte des premiers temples dans la jungle, aux voleurs de statues, aux serpents nichés sous les éboulis, aux mines abandonnées par les Khmers rouges. On est passé en quelques années de la jungle au statut de jardin public, avec ses allées, ses pancartes et ses poubelles. Les petits commerces et les motos sont encore tenus à l'écart mais pour combien de temps encore ?

Angkor a fait rêver. C'est un lieu mythique qui parle de mort et de résurrection dans laquelle le panthéon hindou n'y est pour rien.  Les symboles de la mythologie alimentent la crédulité mais pas la pensée. L'art permet de faire abstraction de l'image pour atteindre un signifiant tout autre que les excentricités de l'hindouisme. On ne refait pas l'histoire mais j'ai le sentiment que l'hindouisme est venu adultérer ce qui était à l'origine la simplicité bouddhique. Que fut Angkor, que sera Angkor ? Sauf à découvrir de nouveau temples dans la jungle nul n'aura plus l'illumination de découvrir dans l'enchevêtrement de la végétation, l'apparition d'une colonne, d'une statue au sourire énigmatique.

Pierres d'outre tombe, revenues de l'enfer vert au paradis des touristes.
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